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remonte chaque nuit le Zambèse. Il y a quelques semaines, elle se levait dans l’après-midi ; puis elle est venue plus tard ; maintenant c’est vers minuit qu’elle arrive. Elle est si violente qu’elle ouvre brusquement la porte de nos cabines ; mais elle est de courte durée, et bientôt un calme plat lui succède.

Le gibier devient plus abondant ; lorsque nous allons chercher du bois nous voyons des troupes de zèbres, de dauws, d’antilopes à pieds noirs ou pallahs, et de cochons sauvages.

Sur la rive droite, un village appelé Shiramba Dunbé, est complétement désert ; quelques vieux fusils indiquent la place où jadis s’élevait une estacade. Un peu plus haut, nous voyons près du fleuve, un magnifique baobab, où l’on a taillé une caverne de la dimension d’une grande case, et qui s’est revêtu d’écorce à l’intérieur, aussi bien qu’au dehors.

Les portions du Zambèse appelées Chigogo et Chipanga traversent des plaines marécageuses où l’on aperçoit accidentellement quelques bouquets de palmiers, et un petit nombre d’acacias épineux. Le fleuve, en cet endroit, a une expansion de trois à quatre milles de large, d’où surgissent une quantité d’îles, parmi lesquelles il est difficile de naviguer ; difficulté qui cesse à l’époque des débordements.

En face de nous une chaîne de hautes montagnes venant du nord-est rejoint le lit du fleuve ; elle le traverse, et le comprime entre les murailles d’une passe étroite qu’on appelle la gorge de Lupata. Les canots pesamment chargés mettent deux jours à franchir cette gorge. Un courant circule autour des petits promontoires rocheux de Kangomba et de Chifoura ; il en résulte des remous et des tourbillons qui mettent en péril les embarcations indigènes ; on les aide à se tirer de ce mauvais pas en les hâlant avec de longues cordes.

Les rameurs déposent de la farine sur ces rochers, afin d’apaiser par cette offrande les dieux turbulents qui président à ces écueils où bon nombre de canots ont péri. On nous dit tout bas que les Portugais nés dans cette région, ôtent leurs chapeaux à ces divinités du fleuve, et gardent un silence solennel quand ils passent dans ces lieux. Parvenus sains et saufs de l’autre côté des promontoires, ils déchargent leurs mousquets, et donnent la goutte à leurs rameurs ; c’est aussi ce que nous faisons nous-mêmes.

À en juger par les traces de buffles et d’éléphants que nous voyons, ces animaux doivent se trouver en grand nombre à Lupata, et la mouche tsétsé y est commune (voy. p. 60) ; nous avons souvent remarqué cette coïncidence.

Les courants sont plus forts en amont de Lupata qu’en aval de cette gorge ; le pays devient montagneux, est plus pittoresque, et renferme plus d’habitants.

À quelques milles de Têté s’élevaient, il y a quelques années, des maisons de pierre assez nombreuses qui ont été détruites par les indigènes et dont on ne voit plus que les ruines. Au moment où nous approchons de la ville, une foule considérable presqu’entièrement composée de noirs, apparaît sur la berge ; elle regarde notre steamer d’un air ébahi. Ceux qui occupent les premières places expliquent aux autres comment nous avançons et cherchent à le faire comprendre en imitant le mouvement des roues avec leurs bras.


Rencontre des Makololos. — Superstitions relatives au manguier et au café. — Esclavage volontaire. — Passion des indigènes pour le commerce. — Pratique de la médecine. — Docteurs-ès-élóphants, ès-crocodiles. — Docteurs consultant les dés. — Sena et l’indigo. — Mines d’or, de fer et de charbon. — Rapides de Kébrabasa. — La rivière Louia. — Cataracte de Moroumboua. — Examen et relevé de Kébrabasa.

L’ancre fut jetée dans le Zambèse à la hauteur de Têté, le 8 septembre 1858, et le docteur Livingstone descendit dans le canot pour se rendre à terre. À peine fut-il reconnu par ses anciens compagnons, les Makololos, que ces derniers coururent à sa rencontre et manifestèrent la joie la plus vive. Quelques-uns s’élançaient pour l’embrasser, mais les autres leur criaient : « Ne le touchez pas, vous gâteriez ses habits neufs ! »

L’hôtel du gouvernement fut mis à notre disposition avec beaucoup d’obligeance par le major Tito d’A. Sicard. C’est une maison de pierre, à un étage, couverte de chaume, ayant pour croisées des stores de calicot, et pour plancher de la terre battue.

Les Makololos y transportèrent nos bagages, et Singéléka, le ménestrel de la bande, suivit les porteurs en agitant les clochettes du pays natal, et en chantant des couplets énergiques, improvisés pour la circonstance.

Le village de Têté a pour assise un coteau de grès, situé sur la rive droite du Zambèse, dont la largeur est ici de neuf cent soixante yards (près de neuf cents mètres). Des ravins peu profonds, suivant une ligne parallèle à celle du fleuve, sillonnent le coteau et forment les rues de la ville ; car c’est à la crête de ces plis de terrain que les maisons sont construites. À l’exception d’un étroit sentier, la surface de ces rues, lorsque nous arrivâmes, était complétement envahie par l’indigo ; on aurait pu en recueillir des tonnes. Le fait est que l’indigo, le séné, le datura stramonium, et une espèce de casse, sont les mauvaises herbes de l’endroit ; il faut les arracher et les brûler tous les ans pour nettoyer le sol qu’on veut mettre en culture.

Une muraille de pierre et de boue entoure la ville, qui n’est habitée que par la colonie ; c’est à l’extérieur que vivent les indigènes. Le fort et l’église, situés près du fleuve, servent tous deux à la défense des habitants.

La population blanche est restreinte, et l’on peut dire choisie ; car la plupart de ceux qui la composent sont ici en vertu d’un jugement qui les a chassés du Portugal, au grand avantage de leurs concitoyens. L’élément militaire y prédomine ; les convicts et les soldats classés sous le nom d’incorrigibles, ont une solde très-faible, et tirent leurs principales ressources des produits que leurs noires épouses obtiennent de leurs jardins.

Le serpent est ici l’objet d’un culte ; d’horribles images de ce reptile sont attachées dans les cases où il y a des malades.