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Le major Tito d’A. Sicard, autre Portugais des plus honorables, que nous vîmes chez le senhor Ferrâo, exprima au docteur Livingstone le désir qu’il avait de l’assister dans son entreprise ; il lui promit de faire transporter à Têté les bagages de l’expédition, aussitôt que la paix serait rétablie ; ce qu’il fit généreusement dès que la guerre eut cessé.

En revenant à Nyarouka nous entendîmes un oiseau qui avait le chant du rossignol et jetait ses notes brillantes dans l’air calme du soir.

Une chaîne pittoresque de hautes montagnes commence sur la rive gauche du Zambèse, en face de Sena, et court vers le nord presque parallèlement au fleuve.

À quelques milles en amont de Sena, se trouve l’île de Pita, dont la nombreuse population composée d’indigènes, paraît vivre dans l’abondance. Un métis portugais vint nous faire une visite ; il se disait chef de l’île, et nous apportait quelques épis de maïs verts, qu’il nous donnait comme segouati. Ce genre de présent, de nature exceptionnelle, consiste en une chose insignifiante que l’on offre pour avoir en retour un objet d’une valeur plus considérable. Quand un indigène qui sait compter a quelque poule maigre et coriace, ou quelques épis de maïs, articles dont la valeur ne saurait être cotée, puisque la douzaine des plus belles volailles se vend ici deux yards de calicot, là trois pences le yard (trente centimes), et qu’on a une corbeille de maïs pour moitié de cette quantité d’étoffe, cet indigène habile transforme son affreux poulet en segouati ; il vous l’apporte avec une effusion de gratitude pour ce qu’il espère vous soutirer en échange et s’en va mécontent s’il n’a pas reçu au moins le double de son offrande. Nous fûmes bientôt dégoûtés de ce genre de cadeaux ; mais nous avions beau dire à notre homme : « Vendez-nous cela, nous vous le payerons, » il nous répondait invariablement : « Oh ! non, monsieur ; ce n’est pas à vendre ; c’est un segouati. » La chose étant considérée comme une politesse de la part du donateur, nous acceptions cet hommage onéreux toutes les fois qu’il nous était adressé par un chef ; mais nous le refusions toujours quand il venait d’un homme ordinaire.


Instrument pour harponner l’hippopotame.


Au-dessus de Pita, se rencontre un îlot qu’on appelle Nyamotobsi ; lors de notre passage il s’y trouvait une petite tribu de chasseurs d’hippopotames, originaires d’une île voisine d’où la guerre les avait expulsés. Ils travaillaient tous avec ardeur ; quelques-uns d’entre eux faisaient d’énormes paniers destinés à renfermer le grain, et dans lesquels se tenait l’ouvrier qui les fabriquait. Avec la politesse si commune parmi les Africains, le chef ordonna d’étendre une natte pour nous protéger contre le soleil, et nous fit voir l’arme qu’il employait pour tuer l’hippopotame. C’est un harpon en fer, de peu de longueur, inséré au bout d’une longue perche ; une corde solide de milola le retient fortement et s’enroule autour de cette hampe à l’autre bout de laquelle elle est fixée. Deux chasseurs prennent un léger canot et s’approchent tout doucement de l’animal endormi. Celui qui est à l’avant de la pirogue lance le harpon tandis que l’autre fait reculer rapidement l’esquif au moyen de sa large pagaie. La force du coup détache le harpon du manche entouré de corde ; ce dernier, auquel parfois on joint une vessie, remonte à la surface de l’eau et indique où est l’animal blessé. Il ne reste plus qu’à expédier la bête qui est sous l’eau, mais dont on connaît la retraite.

Ces chasseurs d’hippopotames vivent entre eux,’et forment, sous le nom d’Akomboni ou de Mapodzo, une tribu particulière dont les hommes s’allient rarement avec les peuplades voisines, jamais les femmes, à ce que l’on assure. Il est probable que cette particularité vient de ce que plusieurs tribus des bords du Zambèse ont la même horreur pour l’hippopotame que les Mahométans pour la viande de porc. Notre pilote, John Scisson, qui appartenait à l’une de ces tribus, n’aurait pas même voulu se servir d’une marmite où l’on aurait fait cuire de cette chair réprouvée ; il aimait mieux supporter la faim jusqu’à ce qu’il pût en trouver une autre ; cependant il se livrait avec ardeur au commerce des défenses de la bête.

Il arrive souvent à ces chasseurs d’hippopotames de réunir leurs familles, leurs marmites, les nattes qui leur servent de couchette, de mettre tout cela dans leurs canots, et de partir pour une longue expédition. Arrivés dans un endroit où abonde le gibier, ils se bâtissent des cabanes sur la rive, et y font sécher la viande qu’ils ont prise.

C’est une belle race, à peau fine, et très-noire, qui ne se défigure jamais par les effroyables ornements que l’on voit chez d’autres peuplades.

Malgré nos instances le chef refusa de nous vendre un de ses harpons, la guerre avec Mariano lui interdisant l’accès de la rive où il se procurait de l’écorce de milola.

Au mois d’août, la chaleur croît d’une manière constante et les matinées brumeuses deviennent rares. Une forte brise, se terminant par un coup de vent,