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va rejoindre le Kongoné, tandis que le Chindé part de la gauche du fleuve pour se rendre au canal secret dont il a été question, la Perle ne trouvant plus une quantité d’eau suffisante, débarque les objets qui appartenaient à l’expédition, et les dépose dans l’une des îles couvertes d’herbe qui se trouvent à peu près à quarante milles de la barre. Il fallut nous séparer de nos amis Duncan et Skead, et nous leur fîmes nos adieux. Le premier nous quittait pour se rendre à Ceylan ; le second pour retourner au Cap.

Quelques-uns d’entre nous séjournèrent dans l’île de l’Expédition, depuis le 18 juin, jusqu’au 13 août, tandis que le Ma-Robert et le canot remontaient le Zambèse pour transporter la cargaison à Shoupanga et à Sena.

En arrivant à Mazaro, embouchure d’une crique étroite qui pendant les inondations communique avec la rivière Quilimané, nous trouvâmes que les Portugais étaient en guerre avec un certain Mariano, métis qui les avait presque toujours bravés, et qui possédait tout le pays à partir de Mazaro jusqu’à l’embouchure du Chiré, ou il avait construit une estacade.

Plus connu sous le nom de Matakénya que lui donnaient les indigènes et qui signifie tremblant ou frémissant comme font les arbres pendant l’orage, Mariano était un chasseur d’esclaves, et entretenait un corps de mousquetaires. Comme tous les Portugais de cette région, il envoyait ses bandes armées faire des razzias d’esclaves chez les tribus inoffensives du nord-est, et conduisait ses malheureuses victimes à Quilimané, où elles étaient vendues par Cruz Coimbra, son beau-frère, et embarquées pour l’île Bourbon en qualité de « libres » émigrants.

Tant que ses rapines et ses meurtres ne frappèrent que les indigènes des provinces lointaines, les autorités portugaises ne s’en mêlèrent pas. Mais accoutumés au pillage et à l’odeur du sang, ses chasseurs d’esclaves commencèrent à exercer leurs violences sur tous les gens qu’ils avaient sous la main, bien que ces gens-là fussent aux Portugais, et finirent par attaquer les habitants de Sena, jusque sous les canons du fort.

Les atrocités de ce scélérat, qualifié à juste titre de bandit et d’assassin par le gouverneur de Quilimané, étaient devenues intolérables, et chacun parlait de Mariano comme d’un monstre d’inhumanité. D’où vient que les métis sont beaucoup plus cruels que les Portugais ? C’est inexplicable ; mais le fait est certain.

La guerre fut déclarée à Mariano ; et des troupes furent envoyées contre lui avec mission de s’emparer de sa personne. Il résista d’abord, puis craignant une défaite, qui était probable, sachant, d’autre part, que les autorités portugaises sont peu rétribuées, il pensa qu’elles étaient disposées à entendre raison, et partit pour Quilimané afin, disait-il, « de s’arranger avec le gouverneur. » Mais le colonel da Silva le fit saisir, et l’envoya à Mozambique pour y être jugé.

À notre arrivée au Zambèse, les gens de Mariano étaient commandés par le frère de celui-ci, un nommé Bonga, et les hostilités continuaient. Cette guerre, qui durait depuis six mois, avait suspendu toute espèce de commerce. Ce fut le 15 juin que nous nous trouvâmes en contact avec les rebelles. Ils formaient une troupe bien armée, vêtue de la manière la plus fantastique. Pour le moment ils étaient groupés sous les arbres de Mazaro.

Nous leur expliquâmes que nous étions Anglais ; sur ce, quelques-uns vinrent à bord, en criant à leurs camarades de déposer les armes. Débarqués parmi eux nous vîmes sur la poitrine d’un grand nombre l’empreinte du fer rouge qui les avait marqués comme esclaves. Mais ils connaissaient l’opinion du peuple anglais relativement à l’esclavage et approuvaient chaudement le but de notre expédition. Des cris joyeux, bien différents des questions soupçonneuses qu’on nous avait adressées d’abord, saluèrent notre départ ; désormais nous fûmes regardés comme amis dans les deux camps.

Il y eut un engagement quelque temps après ; nous abattions du bois à un mille à peine de la scène du combat ; mais un épais brouillard nous empêcha d’entendre le bruit de la fusillade. Arrivés sur le théâtre de l’action, nous vîmes une foule d’indigènes et beaucoup de Portugais. Le docteur Livingstone aborda, pour saluer d’anciens amis qu’il apercevait parmi ces derniers ; l’odeur du sang le frappa tout à coup, et il se trouva au milieu des morts. On lui demanda de prendre avec lui le gouverneur qui était fort malade de la fièvre et de l’emmener à Shoupanga.

Le gouverneur arriva à Shoupanga dans un état d’affaissement complet. Disciple de Raspail, il n’avait combattu la fièvre qu’au moyen d’un peu de camphre, et n’avait pu s’en délivrer. On le soumit à des remèdes plus actifs, et il ne tarda pas à guérir, en dépit de lui-même.

La gravure de la page 117 représente le théâtre du combat ; elle offre un certain intérêt, en ce sens que la baie où l’on voit un vieux canot, jeté sur le flanc, est l’embouchure du Mouton qui fut donné en 1861 sur une carte portugaise, publiée par le ministère de la marine, comme étant la voie que prenait le cours principal du Zambèse pour se rendre à Quilimané. Or le Zambèse a ici une largeur d’un mille (plus de seize cents mètres), et le Mouton n’a guère que vingt-cinq ou trente pieds de large. C’est en réalité une crique, dont le lit est plein d’herbes, et qui se trouve à six pieds, peut-être davantage, au-dessus du niveau du fleuve. Le bord de cette crique, celui qui porte à droite de la gravure, et dont la pente va rejoindre un cadavre, peut indiquer les points successifs qu’atteint le Zambèse depuis le mois de mars jusqu’en juin, où l’inondation est à sa hauteur moyenne.

À partir de la forêt de mangliers, jusqu’à Mazaro, sur une étendue de soixante à soixante-dix milles, on ne voit des deux côtés, à perte de vue, que de grandes plaines couvertes d’herbe, une solitude affreuse, pas d’habitations, quelques arbres seulement ; çà et là, la cime verte et ronde du palmier.

En approchant de Mazaro, le paysage s’améliore ; on aperçoit à gauche la crête boisée de Shoupanga ; des montagnes bleues se dessinent vaguement à l’horizon.