Page:Le Tour du monde - 13.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commence. Notre bateau s’appelle le Ma-Robert, en l’honneur de Missis Livingstone, que les indigènes, dont c’est l’usage, ont baptisée ainsi, du nom de son fils aîné.

Le havre est profond, mais enfermé dans des marécages couverts de mangliers. Après avoir remonté sur un espace d’environ soixante-dix milles, nous avons abouti à un marais encombré de roseaux et d’autres plantes aquatiques.

Le Louavé ayant reçu le nom de Louabo occidental, on avait supposé que c’était un bras du Zambèse, dont la branche la plus importante s’appelle Louabo oriental, ou simplement Louabo.

En sortant du Louavé, le Ma-Robert et la Perle se rendirent à une embouchure, qui est bien réellement l’une des issues du fleuve.

Rappelons que le Zambèse se jette dans l’Océan par quatre bouches différentes, à savoir : le Milambé, qui en est le bras le plus occidental, le Kongoné, le Louabo et le Timboué ou Mousélo.

À l’époque ou le fleuve déborde, un canal, de formation naturelle, court parallèlement au rivage, décrit de nombreux détours dans les marais, et fournit une voie secrète dont profitent les négriers pour transporter les esclaves de Quilimané aux baies de Masangano et de Naméara, ou même au Zambèse.

Pendant longtemps on a représenté le Kouakoua ou rivière de Quilimané comme étant la branche principale du Zambèse, dont il se trouve à quelque soixante milles. Ceci avait pour but de tromper la vigilance des croiseurs, de leur faire surveiller cette fausse embouchure, et, pendant ce temps-là, d’embarquer les noirs que l’on expédiait tranquillement par la véritable issue du fleuve. Les Portugais le reconnaissent ; ils le disent, le maintiennent ; et, chose étrange, cette erreur n’en a pas moins été propagée dernièrement par une carte émanée du ministère des colonies du Portugal.

Après l’examen des trois branches du Zambèse par M. Francis Skead, il fut décidé que le Kongoné était la meilleure entrée du fleuve.

La barre est étroite, le passage presque droit, et si on y mettait des balises, si on plaçait un phare sur l’île de la Perle, un steamer n’y aurait rien à craindre.

La barre du Louabo oriental est bonne, mais longue, et ne peut être affrontée que par le vent d’est ou de nord-est. On appelle quelquefois cette rivière Barra Catrina, et c’est elle qu’on employait au transport des esclaves.

Le Kongoné est situé à l’est de la plus occidentale des branches du Zambèse ; il en est à une distance de cinq milles, et à sept milles de Louabo, qui, à son tour, est à cinq milles du Mouseló.

Nous voyons peu d’indigènes. Ceux que nous rencontrons abandonnent leurs canots dès qu’ils nous aperçoivent et se précipitent dans les fourrés de mangliers ; preuve certaine qu’ils ont une opinion peu favorable des blancs. Il est possible que ce soient des esclaves marrons ; dans tous les cas, ils fuient la servitude.

Les buffles et les sangliers à verrues abondent dans les clairières herbeuses, ainsi que les antilopes. Ces dernières sont de trois espèces différentes et d’un abord facile. Habituellement quelques heures de chasse nous procurent de la venaison pour plusieurs jours et pour vingt hommes.

Pendant les premiers vingt milles, le cours est direct et la rivière est profonde. À cette hauteur un petit canal, légèrement tortueux, s’ouvre à droite et nous conduit au grand Zambèse, où nous arrivons après un trajet de cinq milles, pendant lequel nous avons presque effleuré de nos roues l’herbe flottante des rives. Quant au Kongoné, il sort du fleuve à une distance beaucoup plus grande de la mer, ainsi que la branche extérieure ou Doto.

Depuis la côte jusqu’à vingt milles en amont, le Kongoné traverse un fourré inextricable de mangliers ; quelques-uns de ces arbres sont revêtus d’orseille, qui probablement n’a jamais été recueillie. D’énormes fougères, des buissons de palmiers, çà et là quelques dattiers sauvages apparaissent dans la forêt, dont les mangliers sont d’espèces diverses. Les bouquets de fruits de ces palétuviers, à peine mangeables, n’en sont pas moins d’un jaune vif, dont l’éclat forme un heureux contraste avec le vert lustré des feuilles. En certains endroits le milola, un hibiscus, à feuillage ombreux et à grandes fleurs jaunâtres, forme des massifs an bord de l’eau. Son écorce fournit la matière d’excellents cordages ; elle est surtout fort estimée pour les lignes des harpons avec lesquels on pêche l’hippopotame.

Les pandanus, dont les feuilles sont employées dans l’île Maurice à la confection des nasses, qui servent à emballer le sucre, apparaissent également. Il y en a de si élevés, à l’endroit ou le canal débouche dans le Zambèse, que, vus de loin, ils nous rappellent les clochers de la terre natale, et nous font comprendre cette remarque d’un vieux matelot : « Il n’y manque qu’une chose, le cabaret près de l’église. »

Nous apercevons un petit nombre de goyaviers, et quelques citronniers sauvages, dont les indigènes cueillent les fruits.

Perché sur l’une des branches les plus hautes, l’alcyon strié (halcyon striolata) fait retentir les bois obscurs de son chant vif et joyeux. Quand passe le Ma-Robert, un joli petit héron, ou un brillant martin-pêcheur s’élance, tout alarmé, du bord de la rive, fuit devant nous, et va se poser tranquillement à peu de distance pour s’effrayer de nouveau une minute après et se sauver encore à notre approche.

Un aigle-pêcheur, l’halietus vocifer, posé à la cime d’un manglier, digère le poisson, dont il a fait son repas du matin, et paraît bien résolu à ne pas quitter la place, à moins que l’imminence du péril ne le force à déployer ses ailes.

L’ibis au plumage lustre, à l’oreille d’une finesse re-