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À une lieue et demie à l’ouest de Riom, et sur un des gradins du plateau qui supportent la chaîne des Dômes, s’élève à plus de 300 mètres au-dessus du niveau de l’Allier le château de Tournoël que les vieilles chroniques qualifient de castrum fortissimum et qui pendant quatre siècles au moins, du treizième au dix-septième, pesa de son ombre et de sa puissance sur les contrées d’alentour. Le donjon central est encore debout, son escalier en spirale est intact ; nous voici sur la plate forme ; un panorama aussi varié qu’immense se déroule autour de nous.

Si à l’ouest le puy de la Bannière nous dérobe la chaîne des Dômes, au nord la vue s’étend jusqu’à la butte de Montpensier et aux petites villes d’Aigueperse et d’Artonne, tandis qu’au levant se déploie comme une carte, la Limagne presque tout entière, diaprée de la verdure de ses prairies et de l’or de ses moissons ; sous des massifs d’arbres se cachent de riants villages, où circulent inaperçus les nombreux affluents de l’Allier. Sous nos pieds s’étaient comme aplaties les toitures ardoisées du beau château moderne de Crousol et les habitations agglomérées de Mosat et de Riom, tandis que vers le sud, les plateaux parallèles de Châteaugay et de Chanturgues, couverts de maisonnettes et de vignobles, voilent Clermont, mais laissent apercevoir Gergovie et la vieille tour de Montrognon. Plus loin encore, l’œil découvre jusqu’aux montagnes du Cantal et de la Haute-Loire, qui terminent l’horizon à plus de vingt-cinq lieues de distance.


Château de Tournoël. — Dessin de M. Jules Laurens.

Ainsi, au sommet de cette tour élevée de trente-deux mètres au-dessus du rocher qui lui sert de base, nous occupons l’un des foyers d’une immense ellipse, de plus de deux cents lieues carrées[1] !

La nature est belle dans ce grand cadre ; mais maintenant, si en redescendant l’escalier du vieux donjon, vous venez à apercevoir les antiques oubliettes féodales, profondes de huit à dix mètres, larges de huit pieds au plus et dont l’ouverture est juste assez grande pour donner passage au corps d’un condamné, détournez les yeux, n’appuyez pas sur ce point scabreux, car ainsi que je viens de le lire en toutes lettres, dans un handbook, imprimé avec un certain luxe à Clermont en 1863 ou 1864, « il faut laisser les humanitaires, sur la foi des beaux diseurs du dix-huitième siècle, verser des larmes de crocodiles sur les prétendues victimes de la féodalité, laquelle jouissait légitimement, palsambleu ! d’un droit de haute et basse justice, parfaitement réglé par les coutumes. »

Je cite ces lignes étranges, je ne les relève pas. Peut-être à cette évocation des coutumes à propos du droit de vie et de mort abandonné à l’arbitraire de milliers de hobereaux, toujours juges et parties dans la cause, quelque lecteur sera-t-il tenté de s’écrier : « Ah ! le bon billet qu’avait La Châtre ! » C’est la seule réponse que mérite l’avocat des oubliettes. On ne discute pas d’un pôle à l’autre du monde moral.

F. de Lanoye.

(La suite à une autre livraison.)



  1. Gonod, Notice sur le château de Iournoël.