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jusqu’au fond de la vallée, formant ainsi une ceinture d’environ six kilomètres et deux tiers, sans doute trop large aujourd’hui, mais qui ne l’était pas en 1260, lorsque Sienne, riche de son commerce et d’une population nombreuse, remplissait ce vaste espace de ses tours et de ses palais. Maintenant un seul coup d’œil sur les champs de blé et d’oliviers qui couvrent, toujours dans le cercle des murailles, les flancs des collines et la plaine, aidera, mieux que tous les chiffres de la statistique[1], à faire comprendre combien cette ville fière et élégante est déchue de son ancienne splendeur.

Le périmètre actuel, qui ne compte que huit portes, en avait trente-huit en 1260. Après la bataille de Monte-Aperti, la république, pour se prémunir contre toute surprise, fit murer celles qui n’étaient pas nécessaires.

Des huit portes qui restent, quelques-unes se trouvent sur des hauteurs, notamment la Porta Camollia, la Porta Romana et celle de Saint-Marc, qui sont à l’extrémité des trois principales artères dont nous venons de parler. Les autres, surtout les portes Ovile et Fonte Branda, s’ouvrent au contraire dans des vallons profondément encaissés, qu’on pourrait bien appeler des ravins.

Les plus anciennes de ces portes sont remarquables par leur architecture. Elles sont protégées par une espèce de tour carrée et crénelée, dite anti-porto, qui se projette à l’extérieur de la muraille et défend l’entrée.

La plus ancienne est la Porta a Pispini ou de S. Vieni, par laquelle les Siennois et les gibelins de Florence sortirent en 1260 pour aller à la bataille de Monte-Aperti. La tour qui défend la porte est beaucoup plus moderne ; elle a été bâtie en 1326.

Deux siècles plus tard (1531) le Sodoma y peignit une fresque du côté extérieur, représentant la Nativité ; on admire surtout à la voûte, la figure d’un ange en raccourci, d’une grande hardiesse et d’une grande vérité.

La Porta Romana, qu’on appelait jadis la Porta Nuova, fut dessinée par Agnolo di Ventura et Agostino di Giovanni, architectes de la Torre del Mangia. Cette porte aussi est décorée d’une fresque merveilleuse de Sano di Pietro, représentant le couronnement de la Vierge. Cette peinture lui valut, à titre d’honneur, le surnom de Sano della Porta Nueva.

Si nous voulons visiter ensuite tour à tour les monuments les plus remarquables de la ville, nous devons commencer par la cathédrale, qui couronne d’une manière si pittoresque l’une des hauteurs de Sienne. Mais avant d’en franchir le seuil, il est nécessaire de rappeler sommairement l’histoire de ce monument, qui a réclamé le concours de tant d’artistes[2] et le travail de plusieurs siècles pour arriver à sa perfection.

La cathédrale est très-ancienne, mais au temps où la ville, renfermée dans sa première enceinte, se limitait au point élevé qu’on appelle encore Castel-Vecchio (le vieux château), il semble qu’elle aurait dû être située autre part et plus haut que celle qui existe encore. Il paraît prouvé cependant par un document de décembre 1012, qu’à cette dernière époque la cathédrale occupait le même emplacement qu’aujourd’hui ; mais il est possible qu’on l’ait rebâtie dans le cours des deux siècles suivants. Ce qui n’admet pas de doute, c’est qu’en 1229 on y travaillait. Le dôme fut achevé en 1264. En 1317, la cathédrale fut agrandie et prolongée jusqu’au-dessus de l’église de San Giovanni. Cinq ans plus tard, par suite de certains défauts qui se manifestaient dans l’édifice, on proposa de l’abandonner pour en élever un autre en commençant par les fondements.

Il ne paraît pas qu’on ait persisté dans ce projet, car, en 1339, on délibéra de prolonger l’aile sud de l’ancienne cathédrale, de manière à ce qu’elle formât la croix de la nouvelle. Mais de grandes calamités publiques et surtout la terrible peste de 1348[3] interrompirent les travaux, qui furent définitivement abandonnés en 1356. On résolut alors de les reporter entièrement sur la vieille cathédrale, qui fut enfin terminée dans le quinzième siècle.

On peut encore se faire une idée de la magnificence de la construction inachevée par les restes de la grande nef qui, se détachant du côté sud de l’église, vont se rattacher à cette belle arcade qui devait former la grande porte, et qui, debout sur l’extrême bord de la colline, découpe sur l’azur du ciel sa courbe élégante. Ces restes prouvent assez comment Lando di Pietro, que les Siennois avaient rappelé exprès de Naples, avait su joindre dans son dessin le grandiose de l’idée à l’exquise élégance des détails.

La façade actuelle, achevée en 1379 ou 1380, a été probablement dessinée par Giovanni di Cecco ; mais les ornements et les statues qui la décorent proviennent en grande partie d’une autre façade plus ancienne dont Giovanni di Niccolò Pisano avait donné le dessin en 1284.

Après avoir salué la Vierge, patronne de la ville, dont l’image, entourée de rayons d’or, brille au soleil sur le fond d’émail bleu au sommet de la façade, entrons dans le temple.

La cathédrale de Sienne est, sans contredit, l’une des plus belles de l’Italie, j’oserais dire de l’Europe. En se promenant sous son dôme et sous ses voûtes magni-

  1. En 1301, la population de Sienne était d’environ 70 000 âmes. Le recensement officiel du 31 décembre 1861 ne trouva plus dans la ville que 21 902 habitants ! De ce nombre, 12 534 savaient lire ou écrire. Au même jour on trouva 165 individus âgés de 80 à 98 ans, et 2 331 de 60 à 98.
  2. Voici les noms de quelques-uns des architectes qui, avec le titre modeste de capomaestri, ont dirigé la construction de la cathédrale : Giovanni di Niccolò Pisano, an. 1284-88-90-95 ; Camaino di Crescentino, de 1310 à 1318 ; Tino di Camaino, 1319-1320 ; Giovanni di Maestro Agostino, 1336-1340 ; Lando di Pietro, 1339 ; Domenico di Maestro Agostino, 1350-54 ; Giovanni di Cecco, 1376-78 ; Domenico di Niccolò, 1413-23 ; Pietro del Minella, 1445-55 ; Antonio Federighi, 1454-68-75 ; Giacomo Cozzarelli ; Baldassarre Peruzzi, 1532 ; Vannoccio Biringucci, 1535-1537.
  3. Ce fléau fit dans la même année de terribles ravages à Florence. Selon une chronique du temps, les habitants de Sienne et des faubourgs emportés par l’épidémie auraient été au nombre de 80 000.