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rentes et des infiltrations des eaux qui les sillonnent. Des trottoirs ont été ménagés sur les côtés pour les piétons et 40 réverbères l’éclairent jour et nuit. En résumé, c’est un grand et bon travail, une belle œuvre de l’art et de l’industrie, réunies dans un même but d’utilité ; mais le sol est resté fort humide, l’air y est froid, et des gorges opposées de l’Allagnon et de la Cère de tels courants d’air y montent et s’y engouffrent, que son parcours parfois deviendrait impossible, sans les portières alternes qu’on a disposées à chacune de ses extrémités.

En le perçant, on a rencontré, dans une situation plus ou moins verticale, un grand nombre de filons de trachyte, de phonolite et de basalte, qui semblent avoir jailli à travers une couche épaisse de brèche, contenant des fragments cellulaires et scoriformes de ces roches aussi bien que des veines de porphyre vert. Cette composition minéralogique est précisément ce que l’on peut s’attendre à trouver dans la cheminée d’éruption d’un volcan.

Je descendis, assez mal à mon aise, à l’espèce de ferme-auberge, élevée à la sortie orientale du souterrain, dans une position des plus pittoresques. C’est le point de départ le plus commode qu’on puisse choisir pour l’ascension du Plomb du Cantal. Au moment même ou nous y arrivions, deux sociétés venues de Murat, partaient pour cette excursion qui, à vrai dire, n’est, en temps ordinaire, qu’une facile promenade. Ce ne fut pas sans une vive contrariété que je dus y renoncer, et cela bien moins par la faute de mon pied froissé et teint de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, que par l’impossibilité presque absolue de lutter, au-dessus de la lisière supérieure des bois du Lioran, contre la violence du vent qui balayait les plateaux. Au niveau de l’auberge c’était déjà une forte bise, sur les crêtes c’était un épouvantable ouragan. Je ne tardai pas à voir revenir, les uns après les autres, les membres des deux sociétés d’excursionnistes. Les dames n’avaient pu dépasser les sapinières, et ceux qui s’étaient approchés le plus du but cherché, n’avaient rien vu du grand panorama d’alentour, forcés qu’ils avaient été de concentrer leur attention et leurs forces dans une préoccupation unique, celle de garder leur équilibre et leur adhérence à la terre.

Je congédiai donc, bien à regret, un brancard et deux vigoureux montagnards que j’avais loués pour me hisser sur les pentes du mont, et dès que notre conducteur eut consolidé, avec des éclisses et des courroies, son timon endommagé par le contact anomal de mon pied, nous reprîmes la route de Murat ; c’est, dans tout le parcours des sapins du Lioran, une des plus pittoresques que l’on puisse suivre en France.

L’Allagnon, descendant du col de Sagnes, et grossi d’affluents nés sur les flancs même du Plomb, forme le fond du tableau. La route le franchit vingt fois de ses spirales arrondies, de ses lacets aigus et fortement inclinés. On le suit en pleine forêt jusqu’à la porte des scieries ; on le perd dans des abîmes ; on le retrouve dans les clairières, scintillant en cascatelles sous des franges de mousses, ou bruissant au débouché d’un détroit resserré, aux parois verticales. Les gorges forestières du Lioran sont au nombre de ces merveilles de la nature que l’on regrette de traverser trop vite, et sur lesquelles la pensée aime à revenir et à planer longtemps. Il y a là des paysages qui rappellent les plus beaux détails de la forêt du Falgoux et des bois du Mont-Dore.

Aux deux tiers de la descente, sentant approcher la lisière, je fis arrêter mon voiturin. Je franchis, avec l’aide d’Henri, une brèche à demi-ouverte dans une haie, sur le bord de la route, et j’allai m’étendre dans un petit pré recouvrant d’un tapis épais, élastique et d’un vert charmant, un cap de basalte, incliné, ou surplombant d’assez haut et de trois côtés sur la rivière. Je ne pouvais la voir, mais je l’entendais murmurer dans son chenal de roches.

Devant moi des plans et des arrière-plans de sapins, motivés par les plis et les replis de l’Allagnon, s’échafaudaient à d’énormes hauteurs sur les flancs et vers la tête de la vallée ; à mes côtés, un groupe d’aulnes et de jeunes hêtres, aux rameaux entrelacés, se penchait sur les eaux invisibles de la rivière. Entre leur verdure fraîche et lustrée et le noir intense de l’immense sapinière, l’azur du ciel avait cette limpidité profonde et ce bleu foncé qu’on ne lui voit jamais sur les plateaux élevés et dans les plaines ouvertes. Nul bruit autre que le murmure des eaux cachées ne troublait cette solitude ; le vent, qui balayait les crêtes des vieux volcans éteints, ne venait pas jusqu’à nous et les senteurs pénétrantes, descendues des escarpements ou montant du fond des ravines, révélaient seules, par les combinaisons de leurs aromes, les ondulations de l’atmosphère. Un geste de Henri, qui dessinait à mes côtés, me tira de la rêverie où j’étais plongé. Il lançait piteusement dans le ravin son crayon, envelopé du papier qu’il venait de noircir : « Impossible, » s’écria-t-il en étendant la main autour de lui, « de rendre cela avec du noir et du blanc. » — Parfaitement, observai-je en me levant, « et encore plus impossible avec des paroles ! »

Une fois hors des bois, aiguillonnés tous les deux par les tiraillements de nos estomacs, et moi, pressé de plus par ceux de mon pied qui enflait à vue d’œi1, nous hâtâmes notre course vers Murat, ou, sur la recommandation de l’éminent hôtelier de Thiezac nous vînmes descendre à l’hôtel Doly ; nous n’eûmes pas lieu de nous en repentir. Nous ne nous étions arrêtés un instant en amont de la ville, que pour donner à Henri le temps de dessiner une habitation champêtre, d’architecture étrange, dans un site charmant. J’ai su depuis que c’était le château d’Anterroche ; nom historique, porté à Fontenoy par ce mestre-de-camp, dont la courtoise bravade : « À vous messieurs les Anglais ! » faillit coûter si cher à la France.

Les couches balsatiques à travers lesquelles l’Allagnon a creusé sa vallée dans le voisinage immédiat de Murat, sont les plus remarquables de tout le Cantal par la régularité de leur configuration en colonnes, non moins que par leur masse.

Elles sont unies au trachyte, accompagnées et en partie enveloppées par des masses de brèches ; mais sur