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« Le soulèvement de ces assises ne peut avoir lieu sans des fractures et des déchirements, dont les lignes passeraient par le point de rupture, semblables à ces fentes étoilées que produit un choc sur une lame de verre ou sur une nappe de glace.

« Ces fractures rectilignes et divergentes sont l’origine de ces grandes et profondes vallées qui, du centre à la circonférence, coupent les assises volcaniques et quelquefois les terrains sous-jacents du Cantal[1]. »

De Mandailles, nous élevant assez lentement à travers un grand nombre de burons qui me parurent plus mal tenus que ceux du territoire de Thiézac, nous arrivâmes sans trop de peine sur le revers nord-ouest du puy Griou, seul côté de cette masse conique accessible aux pieds de l’homme. L’ascension de cette rampe n’a rien même de trop pénible et nous atteignîmes le sommet du pic (1694 mètres) avec moins de fatigues que ne m’en réservaient d’autres cimes plus fréquentées que celle-ci. C’est une petite terrasse nue, de quinze mètres de long, sur deux à trois de large, couronnant, sur les trois quarts de son pourtour, une escarpe presque verticale d’une hauteur vertigineuse. C’est peut-être le plus beau point d’observation de tout le massif Cantalien ; on y embrasse d’un regard les deux vallées sœurs où coulent la Cère et la Jordanne, et l’on est comme au centre du cratère de soulèvement dont, selon MM. Dufresnoy et Élie de Beaumont, les pics du Plomb (1858 mètres), du Rocher (1750 mètres), de Vassivière, de Bataillouse et du Col-de-Cabre (1680 et 1650 mètres) ; le puy Mary (1786 mètres) et le puy de Chavaroche (1744 mètres) marqueraient une partie de l’enceinte démantelée et seraient autant de créneaux persistants. Dans cette hypothèse, la masse phonolithique du puy Griou aurait joué un rôle des plus actifs dans le phénomène du soulèvement. Tout concours à le démontrer : sa position centrale, le relèvement des couches basaltiques dans son voisinage, sa structure étrange, si différente de tout ce qui l’entoure, et enfin les dykes et traînées de trachyte, de basalte et de phonolithe, qui rayonnent de sa base vers le cercle indiqué.


Clermont-Ferrand vu de la route d’Issoire. — Dessin de M. Jules Laurens.

Inutile de dire que l’école opposée, qui ne reconnaît pas à notre pauvre vieux globe le droit d’avoir déployé aux jours de sa jeunesse plus de violence et d’énergie qu’aujourd’hui, et qui apporte, à la mesure des gigantesques phénomènes du passé l’étalon des minuscules causes présentes, sourit dédaigneusement à la pensée d’un cratère qui aurait eu huit à neuf mille mètres de diamètre. Pour elle, le puy Griou ne représente qu’une partie d’un ancien culot formé dans la cheminée principale d’un volcan trachytique.

Redescendus de ce théâtre de controverses, nous retrouvâmes, avec une indicible satisfaction, notre voiture à Saint-Jacques des Blats. Elle nous attendait depuis plusieurs heures déjà. La nuit était venue quand nous rentrâmes à Thiézac. Un trajet qui, mesuré sur la carte ne donne pas quinze mille mètres entre les branches du compas, nous avait coûté près de douze heures de marche.


VI


Le haut de la vallée de Cère. — Accident de route en vue du Plomb du Cantal. — La percée du Lioran. — La vallée de l’Allagnon. — La ville et les basaltes de Murat.

Comme l’avait arrêté le ponctuel hôtelier de la Tête-Noire, le dîner nous attendait, et son menu m’oblige à comprendre le gastronome dans la liste des honorables spécialités de l’humanité contemporaine auxquelles je me plais à croire qu’un temps d’arrêt plus ou moins

  1. M. Tournaire, ingénieur des mines à Clermont. — Mémoire sur la géologie du Cantal.