VOYAGE DANS L’ASIE CENTRALE[1],
DE TÉHÉRAN À KHIVA, BOKHARA ET SAMARKAND,
XII
En dépit de mon costume strictement bokhariote, et bien que brûlé par le soleil de manière à être méconnaissable pour ma mère elle-même, je ne me montrais nulle part sans être aussitôt entouré d’une foule de curieux. Que de poignées de main, hélas ! et combien d’accolades passionnées ! Ces braves gens m’assommaient au delà de ce que je pourrais dire.
Le gouvernement n’était pas aussi facile à tromper. On m’avait entouré d’espions.
Un jour, le vizir m’envoya un petit vieillard ridé qu’il me chargeait d’examiner pour savoir si cet individu était en effet, comme il en donnait l’assurance, un Arabe de Damas. De prime abord ses traits me frappèrent et me parurent ceux d’un Européen. À peine eut-il ouvert la bouche, mon étonnement et ma perplexité augmentèrent encore, vu que sa prononciation ne me paraissait en rien celle d’un Arabe. Il avait, disait-il, entrepris un pèlerinage au tombeau de Djafenben-Sadik (à Khotan, en Chine), et désirait repartir le jour même. Durant notre conversation, sa physionomie trahissait un embarras évident, et j’ai souvent regretté que le hasard ne nous ait pas réunis une seconde fois, car je suis très-porté à croire que cet homme jouait un rôle semblable au mien.
Lorsque Rahmet-Bi s’aperçut qu’il ne pouvait fonder aucune accusation sur le témoignage de ses émissaires, il prit le parti de me mander en sa présence. Naturellement ce fut sous prétexte de m’inviter à un pilow public, où je comparus devant une espèce de tribunal composé d’Oulémas bokhariotes. J’entrevis, dès que j’arrivai
- ↑ Suite et fin. — Voy. pages 33, 49, 65 et 81.