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de cheval et de chameau faisait le fond habituel des repas, et je me garderai de mentionner celles qui nous tenaient lieu de venaison.

Pendant mon séjour chez Khandjan, il fiança son fils, qui n’était pas âgé de plus de douze ans, à une jeune fille alors dans sa dixième année. Cet événement domestique fut célébré par une fête à laquelle nous, ses hôtes, ne pouvions nous dispenser d’être présents. En pénétrant sous la tente de la fiancée, nous trouvâmes celle-ci absorbée dans un travail de broderie. Elle ne se dérangea pas un moment et ne parut pas s’apercevoir que nous étions là ; pendant deux heures que dura cette visite, elle ne témoigna qu’une fois — par un regard furtif dont je surpris la direction — qu’elle se savait en présence d’étrangers. Durant le repas, composé en mon honneur de riz bouilli dans du lait, Khandjan nous fit remarquer que la cérémonie des fiançailles avait été d’abord fixée à l’automne suivant, mais qu’il en avançait le terme pour qu’elle pût avoir lieu sous nos auspices, et afin que nos bénédictions fussent acquises à l’hymen projeté.

Je ne dois pas oublier que nous fûmes aussi reçus dans cette occasion par un karakichi, qui, tout seul, à pied, non content de forcer trois Persans à se rendre, les avait chassés devant lui, comme autant de moutons, pendant plus de huit milles. Il nous paya les dîmes du butin, telles qu’on les perçoit au nom de l’Église ; elles ne montaient qu’à la modique somme de deux krans, et Dieu sait avec quelle joie le brave homme nous entendit entonner, d’une voix unanime, la fatiha (bénédiction) qu’il avait si bien méritée !


Kulkhan-le-Pir. — Dessin de Émile Bayard d’après Vambéry.

Trois semaines s’étaient écoulées à Gömüshtepe, — bien contrairement à mes désirs, on peut le croire, — lorsque le zèle hospitalier de Khandjan lui permit de se prêter aux préparatifs de notre départ. Acheter des chameaux nous eût entraînés à trop de dépense, et nous décidâmes que nous en louerions un par chaque couple de pèlerins, pour transporter notre farine et notre eau. L’exécution de ce plan n’eût pas été facile, si nous n’avions eu le bonheur de trouver dans Ilias Beg, charge de notre bétail, un conseiller excellent. Peut-être n’était-il pas au fond très-religieux, et notre caractère de hadjis paraissait lui inspirer un respect médiocre, mais il n’en montrait pas moins la plus grande exactitude à remplir ses devoirs hospitaliers et à nous donner satisfaction sur toutes choses, fût-ce au prix de véritables sacrifices. Ilias, Turkoman de Khiva, fait partie de la tribu des Yomuts ; chaque année, il traverse pour ses affaires le désert de Gömüshtepe : pendant son séjour, la protection de Khandjan le met à l’abri des périls qui, sans cela, le menaceraient comme tout autre étranger. Il arrive généralement en automne, et s’en retourne au printemps avec vingt ou trente chameaux chargés, ou de marchandises à lui, ou de celles que des tiers ont consignées en ses mains. Ayant cette année à ramener avec lui quelques chameaux de surplus, la petite somme que nous lui payerons pour la location de ces animaux est un profit imprévu qui lui tombe du ciel.

Khandjan nous a d’ailleurs recommandés à lui de la manière La plus expresse : « Ilias, lui a-t-il dit, votre vie répondra de la leur. » Et cette formule solennelle atteste assez l’importance qu’il attache à notre sécurité. Ainsi interpellé, Ilias — baissant les yeux comme font