Manuel à s’échapper de sa prison, et qu’ils fuiraient ensemble pour se réfugier dans le pays des chrétiens.
L’évasion avait réussi au gré de leurs vœux, et les deux fugitifs, après avoir marché longtemps à l’aventure, étaient sur le point de mettre le pied sur le territoire chrétien, lorsque, se croyant poursuivis, ils se blottirent entre les anfractuosités du rocher, où ils restèrent cachés pendant plusieurs jours sans oser sortir. Malheureusement, au moment où ils allaient quitter leur retraite, ils furent aperçus par des soldats auxquels le prince avait donné l’ordre de s’emparer d’eux. Les deux amants montèrent alors jusqu’au sommet du rocher, où ils furent bientôt suivis par les soldats, qui cependant n’osaient porter la main sur une fille de sang royal. Laïla se jeta au cou de son bien-aimé, lui jurant qu’elle aimerait mieux mourir que vivre séparée de lui : à ce moment apparut son père, qui avait suivi les soldats, et qui leur donna ordre de la saisir.
— Si vous osez porter la main sur moi, leur dit la jeune fille, je me précipite du haut de ce rocher !
Le prince la supplia en vain de le suivre : les deux amants s’étreignirent un instant en versant un flot de larmes, et après s’être embrassés une dernière fois, ils s’élancèrent dans le vide et tombèrent au pied de la peña, où ils furent retrouvés sans vie, mais toujours enlacés. Une croix fut plantée plus tard à l’endroit où Manuel et Laïla tombèrent, et le rocher a reçu depuis le nom de Peña de los Enamorados.
Nous nous arrêtâmes quelques heures à Archidona, pour faire reposer nos mulets, qui commençaient à être exténués ; Archidona, petite ville bâtie comme un nid d’aigle au milieu des rochers, était, il n’y a pas longtemps encore, un des plus fameux repaires de bandits de l’Andalousie ; les environs, entrecoupés de ravins, de cavernes et de bois sombres, sont on ne peut mieux disposés pour les attaques à main armée ; ce pays fut le principal théâtre des exploits du fameux José María, dont les habitants parlent encore avec une terreur mêlée d’admiration.
À mesure que nous approchions d’Antequera, le pays devenait de plus en plus sauvage ; quelques croix de meurtre se montraient de temps en temps, et nous ne manquions jamais de lire avec soin les inscriptions instructives dont elles étaient surmontées, ce qui divertissait beaucoup notre arriero.
Antequera passait déjà pour être fort ancienne dès l’époque des Romains ; des inscriptions retrouvées dans la ville portent son ancien nom d’Antikaria ; du reste les souvenirs des Mores y sont plus abondants que ceux des Romains. Nous montâmes au sommet de la Torre Macho, la tour tronquée, d’où nous pûmes voir encore la Peña de los Enamorados, dont le profil nous rappela celui du rocher de Gibraltar. Nous visitâmes également près d’Antequera de curieuses grottes, qui ont dû servir d’asile à bien des générations, et qui servent encore de refuge à des gitanos de passage.
Antequera, comme toute la contrée hérissée de montagnes qui s’étend vers le sud, et qu’on appelle la Serrania de Ronda, joue un rôle important dans l’histoire du brigandage ; ces sierras sauvages servaient de repaires à de nombreuses bandes qui détroussaient impunément les voyageurs, et devant lesquelles la force publique restait quelquefois impuissante. Ordinairement le chef de la partida, — c’est ainsi qu’on appelait la bande, — était un jeune homme que la jalousie, le dépit ou quelque affaire d’amour avait poussé à l’assassinat, et qui, poursuivi par la justice, cherchait un refuge dans les montagnes les plus désertes. Le plus souvent, il n’était d’abord qu’un simple ratero, c’est-à-dire un voleur vivant isolé, et ne s’attaquant qu’aux voyageurs sans armes, évitant avec soin les alguaciles, miqueletes, et autres représentants de la justice. Mais bientôt le ratero s’ennuyait de travailler seul ; il s’associait avec quelques gens de vida airada, qui s’étaient mis comme lui en révolte ouverte contre la société, et, devenu chef de bande, capitan, il attaquait, avec les bandoleros, ses vassaux, les convois, les diligences, les fermes isolées, et quelquefois même les villages.
Le capitan de bandoleros était d’ordinaire un homme brun, agile et robuste, bien empatillado, comme disent les Espagnols, c’est-à-dire orné d’une large paire de favoris noirs taillés en côtelette ; sa tête rasée court et couverte d’un foulard de soie aux vives couleurs dont les deux coins retombaient sur la nuque, était coiffée du sombrero calañes chargé de nombreuses houppes de soie noire. Sa veste, en cuir fauve, marsille remendado, était ornée de toutes sortes d’agréments et de broderies en soie, et d’innombrables boutons de filigrane d’argent, botonadura de plata, qui s’agitaient comme des grelots au moindre mouvement ; une culotte courte, ajustée et dessinant les formes, tombait jusqu’au-dessus des mollets, que cachaient à demi d’élégantes guêtres de cuir brodé, botines de caida, entr’ouvertes sur le côté, et d’où pendaient de longues et minces lanières de cuir. Dans les plis d’une large faja de soie, serrant la taille, s’enfonçaient deux pistolets chargés jusqu’à la gueule, sans préjudice d’un puñal effilé et d’un cuchillo de monte, espèce de large poignard muni d’une garde, dont le manche de corne s’ajuste dans le canon de l’escopette.
Le vrai bandolero faisait presque toutes les expéditions à cheval ; il avait pour monture un vigoureux potro andalous à la longue crinière noire orné d’aparejos de soie, et dont la queue était entourée de cette espèce de ruban que les Andalous appellent ata-cola ; une manta aux mille rayures éclatantes laissait flotter de chaque côté des pompons sans nombre. Il va sans dire que l’inévitable trabuco Malagueño, à la gueule évasée, suspendu la crosse en l’air au gancho d’une selle à la mode arabe, complétait l’armement du bandolero : on dit que