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paysage un attrait nouveau. L’ancien château de Newport est aussi curieux que celui de Cardiff.

Nous nous étions installés à King’s head Hotel, ou l’hôtel de la Tête-de-Roi (titre bien hardi pour des Anglais qui ont retenu leur histoire). C’était sur la foi de Murray qui, peu enclin à dire du bien des auberges, nous donnait cependant celle-ci comme pretty good, clest-à-dire assez bonne, que nous avions planté notre tente à King’s head. Murray avait raison, proclamons-le sans détours, Murray est infaillible comme le pape : c’était un pretty good hotel que le nôtre ; mais il n’est rien ici-bas de durable, et il fallut enfin s’arracher aux confortables auberges, au beau pays de Galles, et aux mines et aux usines.

Notre voyage si favorablement commencé, si heureusement poursuivi, s’acheva également sans encombre ; nous prîmes le chemin de fer à Newport un dimanche (ce qu’on a de mieux à faire le dimanche, en Angleterre, c’est de voyager), et nous filâmes presque d’une seule traite sur Londres.

D’abord on côtoie la Severn, on salue en passant le vieux castel de Chepstow et ses grosses tours à moitié ruinées, et ses larges murailles qu’embrasse et tapisse le lierre. Le château existait déjà à l’époque de l’invasion normande, et il est cité dans le Domesday book, ce curieux état que fit dresser Guillaume le Conquérant de la propriété foncière du pays qu’il venait de soumettre. Comme celui de Cardiff, le château de Chepstow, a eu l’honneur d’être assiégé par Cromwell en personne, au temps de la guerre civile.

De Chepstow, longeant de nouveau la Severn, longtemps large comme un bras de mer, nous arrivâmes à Gloucester, que les Anglais, pour aller plus vite et gagner du temps (time is money), prononcent simplement Glouster. Glouster (puisque Glouster il y a) possède une des belles cathédrales gothiques de l’Angleterre ; elle a été commencée au onzième siècle. Nous ne la visitâmes pas dans ce voyage ; mais j’avais pu la voir lors d’une précédente excursion en Angleterre, et son heureux style, sa richesse m’avaient frappé. Le clocher, le chœur, les portes, les rosaces, les vitraux, les fenêtres, tout cela est du meilleur goût et de la bonne époque, on le devine à première vue.

De Gloucester à Swindon, nouvelle grande étape, nous traversons les éternelles prairies de la verdoyante Albion.

De Swindon à Reading quelques vastes filatures établies le long de paisibles cours d’eau tranchent heureusement sur la nappe verte des prés. Bientôt les façades des usines, avec leurs rangs interminables de fenêtres, se succèdent presque sans interruption, et s’alignent dans la campagne comme d’immenses casernes. Mais il vaut mieux encore des casernes de cette espèce, asile d’un pacifique et fructueux travail, que celles où l’on entasse des soldats.

Passons. Nous voici à Reading, pays de la farine. Les minoteries ont remplacé les filatures de laine. Bientôt nous saluons Windsor et son parc et son vieux château, et nous rentrons dans Londres par la même station de Paddington, que nous avions quittée quelques semaines auparavant, en route pour le Cornouailles.

Béni soit Dieu ! notre voyage s’est accompli dans les règles ; nous avons beaucoup vu et avons même un peu retenu. Il faut maintenant mêler l’utile et l’agréable, utile dulci, comme dit si bien Horace… Je vais donc terminer mon récit par un coup d’œil général sur les houillères et les forges du pays de Galles, revenir en un mot sur l’ensemble de cette double industrie du charbon et du fer qui fait la force de l’Angleterre moderne. Je me bornerai à étudier cette industrie dans le pays de Galles, où je l’ai déjà signalée si souvent dans le cours de ce voyage, laissant de côté les autres pays où elle s’est également développée, le Staffordshire, le Lancashire, le Durham, le Northumberland, le Yorkshire, etc. dont je n’ai pas à parler ici. J’espère entraîner le lecteur à ma suite. Encore un effort, et c’est fini ; qu’il se rassure, je serai bref, intéressant si c’est possible, pas trop scientifique, et j’essayerai d’être clair. Comment saurais-je mieux finir ?


VI

LES HOUILLÈRES ET LES FORGES DU PAYS DE GALLES.


La géologie du pays de Galles. — Siluria. — Les trois assises du terrain houiller. — Les charbons gallois. — Empreintes fossiles. — Un puits de mine. — Le roi d’Aragon, Leibnitz et Voltaire. — Les fours à coke, les hauts fourneaux, les fours à puddler. — Historique du travail du fer dans les Galles : les Romains ; les premiers canons. — Nombreux perfectionnements et accroissement merveilleux dans la production. — La misère des ouvriers gallois.

Le pays de Galles, où jusqu’ici nous nous sommes promenés en touristes, en curieux, plutôt qu’en géologues, mérite à tous les égards d’attirer l’attention du savant, de l’ingénieur et de l’industriel. Les plus grandes illustrations de la géologie anglaise, de la Bêche, Murchison, Lyell, qui sont proclamés en tout pays comme des maîtres de la science, se sont plu à parcourir et à décrire les Galles. Ils ont semé leurs écrits scientifiques de descriptions empruntées à ce pays, et Murchison lui-même n’a pas dédaigné de consacrer dans Siluria un livre spécial à la géologie du pays de Galles. Siluria, ce titre plaît déjà comme celui d’un roman. Ne prévient-il pas dès l’abord en faveur de l’ouvrage ? Il consacre en outre l’ancien nom du pays resté cher aux vieux Gallois, et la résistance que les Silures, habitants primitifs des Galles, firent avec les Cambriens, qui n’étaient autres que des Cimbres, à l’invasion et à la conquête romaine. Siluria s’est acquis en Angleterre, dès son apparition, tous les suffrages du monde savant et même des simples amateurs, tant la science sait se parer chez nos voisins pour se faire aimer, tant les grands maîtres eux-mêmes n’y dédaignent pas de descendre dans l’arène pour vulgariser la science utile, la populariser, la faire arriver comme une source bienfaisante et féconde jusque dans les derniers rangs du public.