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servi par des chevaux. Or il y a, de Penydarren à Navigation House, neuf milles anglais, près de seize kilomètres, soit quatre de nos lieues métriques. Trevithick gagna son pari.

J’ai vu, en 1862, à Londres, au musée de Kensington, un vénérable débris de sa locomotive, deux feuilles de tôle de la chaudière, précieusement conservées comme une relique historique. Le Trevithick’s high pressure tram engine, ou la locomotive à haute pression de Trevithick, était bien loin cependant de la locomotive actuelle. La disposition tubulaire inventée par notre compatriote Seguin, et le jet de vapeur imaginé par Georges Stephenson, le digne fils de Robert, ont seuls permis, comme l’a fort bien établi M. Perdonnet dans son Traité des chemins de fer, de donner à la locomotion à vapeur l’importance pratique qu’elle a acquise à notre époque, c’est-à-dire depuis 1830.

La voiture de Trevithick, dans le pari qui eut lieu entre lui et Crawshay, dépassa même Navigation House et alla jusqu’à Pontypridd. De ce point, il n’y eut pas moyen de lui faire rebrousser chemin et remonter sur le tram-way la vallée du Taff qu’elle avait si bien descendue.

En nous reportant à l’invention de cette époque, nous pourrons peut-être trouver cette invention bien naïve eu égard à ce que nous voyons aujourd’hui. La chaudière de Trevithick ne différait guère des chaudières fixes alors et encore à présent en usage, ce qui ne permettait ni de donner au foyer un bon tirage en marche, ni d’avoir une grande surface de chauffe accumulée sur un petit espace, et partant d’activer la production de vapeur et la vitesse du train[1]. La roue motrice de la locomotive de Trevithick n’était en outre qu’une roue d’engrenage ; les rails eux-mêmes étaient taillés sur leur face supérieure comme une crémaillère dont les dents s’engageaient dans celles de la roue. On comprend que dans une pareille machine le frottement devait être considérable, la marche lente, indécise, et que souvent même le train devait s’arrêter net.

Peu d’années après l’invention de Trevithick, une nouvelle locomotive fonctionnait en Angleterre, et cette fois sur les mines de charbon de Newcastle. Elle y fut destinée au transport du charbon et circulait avec sa charge sur les rails de fonte où passaient auparavant les wagons traînés par des chevaux.

Plus heureuse que celle de Trevithick, cette locomotive a fonctionné à Newcastle jusqu’en 1862, époque où elle a été transportée au musée de Kensington pour prendre sa place au milieu des vénérables débris des antiques machines de Newcomen et Cowley, Watt, Trevithick, etc.

La première locomotive qui ait porté des voyageurs est celle de B. Stephenson. Elle a fonctionné de 1825 à 1850 sur le chemin de fer de Stockton à Darlington (Durham). Elle est aujourd’hui placée sur un piédestal d’honneur devant la station de Darlington. Ces glorieuses invalides étaient bien dues à ce vieux serviteur.

C’est le travail des mines de houille du pays de Galles, des comtés de Newcastle, de Durham, etc., qui a conduit peu à peu les Anglais à l’invention des chemins de fer et de la locomotive, tant pour perfectionner le transport du combustible que pour en diminuer le coût. Nous savons que l’exploitation des houillères et celle des mines métalliques du Cornouailles a également donné lieu à l’invention de la machine à vapeur pour extraire économiquement et par grandes quantités à la fois l’eau qui inondait les travaux.


V

PONTYPOOL. — NEWPORT.


Le viaduc de Crumlin. — Abondance de voies de transport. — Environs de Pontypool. — Houillère de Glyn-pit. — Une ouvrière et un gamin des mines. — Les moralistes et les femmes et les enfants. — Les industries de Pontypool. — Blowing sepoys from the guns. — Les gares galloises. — Newport, la ville, les bassins. — Magnifique panorama. — Retour à Londres : Chepstow, la Severn, Gloucester, Swindon, Reading, Windsor, Paddington. — Utile dulci.

De Merthyr Tydvil nous gagnâmes Pontypool en chemin de fer, car partout les railways sillonnent aussi bien que les canaux le sud du pays de Galles. Le voisinage de l’industrie offre bien quelques désagréments ; mais il amène avec lui une abondance de voies de transports dont d’autres pays moins industriels regrettent de ne point jouir. Il y a compensation à tout, suivant l’honnête philosophe Azaïs, et tout est pour le mieux dans les meilleures des Galles possibles, comme aurait dit Candide, s’il eût pris part à notre voyage.

Je ferai grâce au lecteur des stations de la route entre Merhiyr et Pontypool ; mais je ne puis passer sous silence le beau viaduc de Crumlin que nous traversâmes à moitié chemin. C’est un des plus hardis travaux en ce genre qui existent dans la Grande-Bretagne. Ce pont a dix arches d’une portée de cent cinquante pieds chacune (cinquante mètres), et d’une hauteur de deux cents dix pieds (soixante-dix mètres). Chaque pile est formée de quatre colonnes de fonte reliées par des crampons métalliques se croisant en diagonale. Tout le pont est en fonte et en fer, et a coûté quarante mille livres sterling soit un million de francs. C’est peu pour un si beau travail.

Au pied du pont est le village de Crumlin que, du haut du viaduc, on aperçoit en raccourci comme un village lilliputien. Le long de l’Ebbw, dont les eaux, vues de cette hauteur, paraissent semblables à un ruban argenté, immobile, est un autre chemin de fer. C’est ainsi que partout en Angleterre se croisent les railways, souvent établis les uns au-dessus des autres, à côté même des canaux, des voies navigables et des routes de terre, surtout dans les centres industriels. Le fait

  1. Les tubes de Seguin, qui traversent sur toute la longueur l’intérieur de la chaudière, entourés d’eau, et par lesquels passent les gaz résultant de la combustion pour se rendre dans la cheminée ; le jet de vapeur de Stephenson, lancé, du cylindre sur lequel il vient d’agir, dans la cheminée dont il active singulièrement l’appel, ont répondu victorieusement l’un et l’autre à ces deux desiderata qui n’en font qu’un : la production rapide de la vapeur et la vitesse accélérée du train.