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giques, administratives, politiques, ils n’auraient sans doute pas mieux fait que nous n’avons fait nous-mêmes. Et ici je ne parle pas par esprit de nationalité. Ce que j’avance est désormais passé dans l’ordre des faits admis ; des enquêtes privées ou officielles, conduites en dehors de tout esprit de parti, l’ont prouvé suffisamment.

De la mine de houille que nous venions de parcourir, nous passâmes aux forges de Gyfarthfa (Cyfarthfa iron works), situées au pied même de la houillère. Le charbon, le minerai, le fondant, n’ont pas grand chemin à faire pour aller de la mine à l’usine.

C’était un samedi, un jour de paye : devant les bureaux du purser (agent comptable) se pressait la foule compacte des ouvriers. Tout ce monde était là pour recevoir le salaire de la semaine déjà peut-être engagé aux trois quarts entre les mains des fournisseurs. Aux alentours de l’usine, le long des crassiers où l’on rejette les cendres et les scories de tous les foyers métallurgiques de cet immense établissement, allaient le dos courbé vers la terre de pauvres filles déguenillées.

Que venaient-elles faire en ces lieux ? Chercher au milieu de ces tas encore fumants quelques débris de coke ou de charbon pour allumer le foyer domestique. La misère était donc bien grande en ce pays industriel et travailleur pour que de pauvres familles d’ouvriers en fussent réduites à ces tristes expédients !

Les pauvrettes faisaient mal à voir, vêtues de loques, de haillons immondes, un sale mouchoir noué autour de la tête, parfois même la tête couverte d’une capeline défoncée qui avait peut-être abrité jadis le chef d’une grande dame. Les unes allaient nu-pieds, d’autres portaient des chaussures éculées, défoncées, ramassées dans la rue, souvent dépareillées, ayant quelquefois primitivement servi pour des pieds d’homme. Quelle misère écœurante, grand Dieu ! et se peut-il que dans un pays en apparence si riche, si industriel, il y ait des gens à ce point déshérités ! À Londres seulement, dans les quartiers les plus sales, les plus misérables, nous devions rencontrer pareil abandon, mais là au moins la chose s’expliquait par la paresse, le vice, l’absence de travail suivi, tandis qu’à Merthyr Tydvil on pourrait croire que le nombre des usines à fer, des mines de charbon et de toutes les exploitations industrielles du pays doit donner du pain à tout le monde. Il n’en est rien, paraît-il, et soit qu’il y ait de la faute des habitants, soit qu’il y ait de la faute des grands industriels du pays (ce que nous ne saurions croire), la misère s’étale à Merthyr au grand jour, à la vue de tous, de la façon la plus lamentable. N’avais-je pas raison de dire, à la fin de la première partie de ce récit, que le pays de Galles était loin de nous ménager, au point de vue de l’état social des classes ouvrières, la même surprise agréable que nous avions éprouvée dans le Cornouailles ? Là-bas tout s’était présenté à nous dans un aspect de bien-être et de propreté qui semblait ajouter encore au charme du pays, et satisfaisait les yeux en même temps que l’esprit. Ici tout prenait un ton triste, sale et misérable, comme si le charbon et le fer ne pouvaient aller qu’avec la boue et la malpropreté, celle qu’ils créent autour des mines et des usines, comme celle dans laquelle vivent, au moins dans le pays de Galles, les ouvriers attachés à leur exploitation. À Merthyr, la ville elle-même offre un aspect triste et rebutant. Les rues ne sont ni balayées, ni lavées ; la crotte et l’ordure s’y entassent ; une poussière noire, produite par la fumée et le charbon, s’étend sur les façades des édifices et jusque sur les vêtements et la figure des habitants. Dans un tel milieu, le laisser aller, la négligence, puis la misère prennent vite droit de cité, et voilà comment s’explique peut-être le spectacle navrant dont une portion de la classe ouvrière de Merthyr nous rendit trop souvent témoins.

L’usine de Cyfarthfa, autour de laquelle s’étala pour la première fois devant nous la misère galloise, est une des plus grandes usines à fer du pays de Galles et partant de toute l’Angleterre. C’est la plus importante de Merthyr Tydvil, après celle de Dowlais. Celle-ci a dix-sept hauts fourneaux pour traiter le minerai de fer et le transformer en fonte, près de cent soixante fours à réverbère pour transformer la fonte en fer malléable, et