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que leurs ancêtres ont colonisé les Galles ; mais les Gallois sont certains d’avoir peuplé les premiers notre Armorique en y envoyant un essaim de colons. Ils ont même fixé les dates de leurs diverses migrations. Laissons-les dans cette douce persuasion d’avoir les premiers peuplé la Bretagne française. Il est tant de faits douteux, incertains en histoire, qu’on peut bien encore passer sur celui-là. Acceptons donc que nos Bas-Bretons ne sont que des Gallois transformés.

Les chemins de fer qui ont partout pénétré dans les Galles, les relations internationales devenues chaque jour plus actives dans le pays à cause de sa situation littorale et du développement remarquable qu’y a pris l’industrie houillère et métallurgique, toutes ces raisons tendent invinciblement à faire disparaître davantage la langue et les coutumes primitives des Gallois. Aussi bien il est en histoire des lois fatales auxquelles on ne pourrait guère s’opposer, et quand le moment est venu pour un peuple ou pour une langue de disparaître, c’est que ce peuple ou cette langue ont fini de jouer leur rôle. Ici le cas ne s’applique pas aux Gallois, franchement entrés dans le giron de la Grande-Bretagne depuis plusieurs siècles, et participant à ses institutions politiques, constitutionnelles, avec une aptitude qui a été remarquée ; il s’applique à leur langue, bonne pour la poésie héroïque ou religieuse, mais qui ne saurait nullement se plier aux exigences de la vie moderne et des affaires. Donc le welche passera comme a déjà passé le Cornish, comme passeront aussi peu à peu tous les dialectes, tous les patois de nos provinces, qui firent jadis la joie des troubadours et des trouvères. Qu’y faire ? Le progrès n’est qu’à ce prix ; et si les amateurs de la couleur locale y perdent, il faut reconnaître que les mœurs générales y gagnent ; que les peuples, tendant peu à peu à s’unifier et à abaisser les barrières qui les séparent, penchent vers une fraternisation universelle, une grande alliance pacifique qui, espérons-le, réalisera un jour l’idéal de l’Évangile.


Le chiffonnier des familles, à Swansea. — Dessin de Durand-Brager.


Revenant à nos Gallois, souhaitons-leur de perdre encore plus vite que leur langue et leurs vieilles coutumes qui, au demeurant, ont du bon, ce défaut de propreté domestique, ce laisser-aller honteux dans lequel semblent vivre volontiers là-bas la plupart des familles ouvrières. Dans le Cornouailles, une apparence de propreté, de bien-être nous avait partout frappés. À peine dans le pays de Galles, dès notre entrée à Cardiff, les classes populaires nous ont paru moins soigneuses d’elles-mêmes et de leurs maisons. Il n’y a plus là cet air de dignité personnelle, ce respect de soi qui semble particulier aux Bretons du Cornouailles et surtout aux Anglais. Dans le pays de Galles, l’ouvrier est parfois couvert de haillons, le logis est des plus mal tenus, la famille grouille dans l’ordure. À Swansea, le commerce des chiffons et des loques règne dans toute sa laideur ; il s’y pratique même d’une façon particulière, à la grande joie des enfants. Pour une mauvaise pièce d’étoffe, sale, hors d’usage, les bambins reçoivent du marchand un maigre jouet d’un penny, quand les parents ne préfèrent pas prendre en échange la pièce de monnaie elle-même. Cette façon de pratiquer en plein air et sur une voiture roulante le commerce de la friperie nous étonna beaucoup, et nous avions baptisé le marchand qui annonçait dans les rues son passage à son de trompe, du nom de chiffonnier des familles.

La différence d’aspect si saisissante entre la classe ouvrière du Cornouailles et celle du pays de Galles, la première d’une si bonne tenue, la seconde aussi négligente pour sa mise que pour l’ordonnance du logis, a frappé tous les voyageurs. Pour nous, l’impression désagréable que le spectacle de la misère cause toujours ne fit même que s’accroître durant le voyage, à Merthyr Tydvil, à Pontypool, à Newport, ainsi qu’on le verra par la suite du récit.

L. Simonin.

(La fin à la prochaine livraison.)