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pays. On y dispute le prix des vers, on y chante des chansons nationales, comme la Marche des hommes de Harlech, on y distribue des couronnes aux bardes les plus dignes ; ce sont comme les olympiades des Galles. Souvent même on ne se sépare pas sans pousser encore le vieux cri de guerre : Wales for the Welsh, « les Galles pour les Gallois ! »

Je voudrais raconter en détail, de visu, comment se passent les choses dans ces assemblées nationales ; mais je n’ai jamais assisté à un eisteddfod, et ne puis en parler que par ouï dire. Ce n’est pas tous les jours du reste, ni même une fois par an, que s’ouvrent ces conciles gallois. Je recourrai donc, pour satisfaire les amis de la couleur locale, à un auteur fidèle et précis entre tous, et que l’on ne saurait trop citer, quand on parle des mœurs, des coutumes de la Grande-Bretagne. J’ai nommé M. Esquiros dont les belles études sur l’Angleterre et la vie anglaise, plus appréciées encore de l’autre côté du détroit qu’en France, resteront le modèle du genre.

« Au moment où j’étais dans le Pays de Galles, nous dit l’infatigable et intéressant touriste, un grand eisteddfod devait avoir lieu à Llandudno. Je m’y rendis, curieux d’assister à une des scènes les plus émouvantes chez un peuple si sensible à la poésie.

« Llandudno, autrefois un village de contrebandiers, aujourd’hui une jolie ville de bains, s’élève au nord des Wales, sur un magnifique promontoire, où elle se trouve abritée par de hautes falaises.

« Un eisteddfod attire toujours un grand nombre de poëtes, d’écrivains et de curieux ; je dois même dire que les saltimbanques, les jongleurs, les danseurs de corde, s’y donnent aussi rendez-vous. De même que le grand jour du derby à Epsom, ces solennités poétiques ont dans le Pays de Galles le privilége de réunir toutes les classes de la société. Les uns y viennent pour s’instruire,


Le canal de Swansea. — Dessin de Durand-Brager.


d’autres y cherchent une source de plaisir et d’amusements ; mais dans tous les cas de telles réunions, si bien en harmonie avec les goûts et l’esprit des habitants, effacent pour quelques jours les distinctions de rang ou de fortune.

« La ville de Llandudno avait donc, depuis une semaine, un air de fête : les cabarets (public houses) étaient envahis ; une foule de candidats aux honneurs des jeux olympiques semblaient puiser l’inspiration dans les flots dorés de l’ale amère.

« De même que la plupart de ces congrès littéraires qui ont lieu tantôt dans une ville, tantôt dans une autre, le présent eisteddfod avait été préparé depuis un an par un comité local et permanent, dont les fonctions consistent à déterminer l’époque de ces solennités, à fixer le nombre et la valeur des prix décernés aux candidats, ainsi que le sujet des poèmes admis au concours. Vers dix heures du matin, une procession composée de bardes, d’ovates[1], de druides, de ménétriers, se rendit solennellement des bureaux de ce comité sur le terrain du gorsedd. Qu’est-ce donc que le gorsedd ? Tel est le nom que l’on donnait aux anciens conciles des bardes. S’il faut en croire la tradition welche, ces conciles, dans lesquels se votaient les lois et les règlements de la contrée, cessèrent d’exister soixante ans environ après Jésus-Christ, et furent alors remplacés par les eisteddfodau[2]. Le cortége, étant arrivé sur le théâtre de la fête, se forma en rond autour d’un cercle magique tracé par

  1. La puissance sacerdotale se divisait chez les anciens Celtes en trois ordres : les druides, qui étaient chargés de l’instruction de la jeunesse, les ovates qui etudiaient sans cesse les secrets de la nature, et les bardes dont le ministère était de chanter en vers héroïques les actions des braves. — Les modernes gallois ont conservé religieusement cette division.
  2. Pluriel d'eisteddfod, dont la racine est eistedd, s’asseoir, tenir séance. — Remarquons en passant l’analogie du gallois eistedd et du latin stare.