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d’animaux habitant les étangs saumâtres nous présentent le même phénomène. Organisés pour habiter des eaux dont le degré de salure varie beaucoup dans le cours de l’année, suivant les pluies ou l’évaporation, ils finissent par s’accoutumer à l’eau douce. Un changement brusque leur serait fatal, mais une transition ménagée permet à l’organisme de prendre de nouvelles habitudes. C’est ainsi que les crustacés, dont les ancêtres peuplaient les fiords, remplacés actuellement par les deux grands lacs suédois, sont restés cachés dans les grandes profondeurs de ces nappes d’eau douce, témoins vivants de la dépression de la Scandinavie au-dessous de la mer glaciale qui l’entourait alors, et de son soulèvement lent et graduel à partir de cette époque. Partout sur les côtes de Suède et de Norvège on trouve au-dessus du rivage actuel, des traces évidentes d’anciens rivages qui permettent non-seulement de constater mais encore de mesurer le soulèvement de la côte. Ces lignes d’anciens niveaux de la mer, correspondent à des lits de coquilles arctiques, et la géologie, d’accord avec la zoologie, nous démontre à la fois l’existence d’une période glaciaire, et l’oscillation perpétuelle de la croûte terrestre, attestée dans presque tous les pays, par le soulèvement ou l’affaissement des côtes dans les îles et sur les continents.

Guillemot à miroir blanc et pingoin macroptère. — Dessin de Mesnel.

Les terres voisines du pôle sud nous offrent, comme celles du pôle nord, l’image non affaiblie de l’époque glaciaire. Les rivages de Sabrina, d’Adélie et de Victoria découverts par Dumont d’Urville et James Ross, sont ensevelis sous les glaciers comme le Spitzberg et le Groenland. La mer est sillonnée par des légions de glace flottantes que les courants entraînent vers le nord. À la Nouvelle-Zélande, Hochstetter a vu, sur la courte pente de la chaîne centrale, des glaciers s’arrêter à 200 mètres seulement au-dessus de l’Océan et entourés d’une riche végétation de fougères arborescentes. Partout l’île porte les traces non équivoques d’une époque où ces glaciers descendaient jusqu’à la mer. Ainsi la période de froid a régné sur tout le globe, et c’est vainement qu’on chercherait à l’expliquer par des changements locaux dans la configuration des terres et des mers. Une cause générale peut seule rendre compte d’un phénomène qui rayonnant des deux pôles du globe, s’est étendu sur la moitié de chacun des hémisphères terrestres.

Ici se termine cette longue et sérieuse étude ; nous sommes-nous trompés en pensant que le lecteur ne nous abandonnerait pas pendant que nous déroulions sous ses yeux le tableau sévère des terres et des mers les plus septentrionales de l’Europe, séjour de plantes et d’animaux qui peuvent vivre sans chaleur pendant l’été et résister pendant l’hiver à des froids et à des nuits effrayantes pour l’imagination la moins impressionnable. Des hommes, des héros, Barentz, Francklin, les deux Ross, Richardson, Parry, Maclure, Maclintock, Inglefield, Belcher, Penny, Bellot, Kane les ont affrontés, mais ils étaient mus par des mobiles qui élèvent l’homme au-dessus de toutes les difficultés et le rendent indifférent à tous les dangers, le feu sacré de la science et l’amour de la véritable gloire, celle qui consiste non pas à tuer son semblable, mais à servir et à honorer l’humanité.

Ch. Martins.