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nâmes à Aroumbé notre grand féticheur et sa royale épouse.


Les hippopotames du Bango. — Le lac Anengué. — Une forêt de joncs. — Voyage à l’Ogo-wai par terre. — Région inconnue. — Conclusion.

Notre visite au lac Jonanga terminée, nous prîmes congé des habitants de N’Dembo, non sans quelques palabres, et nous nous abandonnâmes au cours de l’Ogo-Wai.

Le lendemain nous visitions rapidement un petit lac situé près du village d’Avanga-Wiri, le lac Niogé, joli bassin de 4 milles de largeur à peine, près duquel nous laissions définitivement les Gallois, pour retrouver les tribus qui se rattachent directement à la mer. Nous voyions reparaître en même temps les joncs, rares d’abord, puis plus pressés, qui nous annonçaient mieux qu’aucune observation barométrique que les terrains s’abaissaient et allaient bientôt tourner au marécage.

Nous apprîmes en route que les gens d’Aroumbé, avaient l’intention de nous rançonner à notre retour, et de faire un mauvais parti à notre pilote, auquel ils attribuaient le refus que nous avions fait d’aller les visiter à notre premier passage. Pour éviter une altercation avec ce village querelleur, nous passâmes devant lui pendant la nuit. Au lever du jour nous étions à 10 kilomètres de là, à l’entrée du Bandou ou Bango, la première grande branche qui se sépare de la rive gauche de l’Ogo-Wai pour se jeter à la mer, et forme par conséquent la limite méridionale de son delta.

Quelques heures après nous rentrions dans le village de notre ami N’GoWa Akaga, roi de Dambo. Cet excellent homme nous vit revenir avec une véritable joie : il savait quels sentiments hostiles animaient quelques chefs contre le roi du cap Lopez, dont le traité récent avec nous commençait à être connu ; il n’ignorait pas non plus leur avidité pour les produits européens ; il n’était donc pas sans inquiétude sur notre compte.

Après nous être reposés quelques heures dans ce village hospitalier, nous reprîmes la route du Pionnier, qui revenu en deçà des bancs, nous attendait près du village de Niondo. N’gowa Akaga qui nous avait accompagnés, reçut avec joie pour la location de sa pirogue des fusils, de la poudre, du sel, denrée toujours précieuse loin de la mer ; et pour ses femmes des étoffes et des perles à rendre jalouses toutes les odalisques de la rivière.

Dès le lendemain, nous repartîmes en baleinière pour visiter l’Anengué que M. du Chaillu avait récemment décrit en lui attribuant un rôle important dans l’avenir commercial du pays. Nous remontâmes l’Azin-Tongo, affluent de l’Ogo-Wai qui retourne vers l’est ; puis un canal plus étroit, le Gongoni, qui nous ramena au Bango. On nous avait dit que cette rivière avait plusieurs communications avec le lac. Nous n’eûmes en effet qu’à la traverser obliquement pour trouver la plus importante, la petite rivière de Guaibiri.

Notre courte apparition dans le Bango troubla un instant une troupe d’hippopotames qui prenait ses ébats auprès d’un banc de sable. Nous avions déjà nombre de fois rencontré ces énormes animaux dans l’Ogo-Wai dont les berges portent partout les traces de leurs pas, mais nous les avions toujours trouvés par couples isolés, ne montrant guère au-dessus de l’eau que le haut de la tête et la partie supérieure de leur énorme croupe, et disparaissant au moindre bruit. Une balle envoyée au milieu du troupeau les fit plonger immédiatement ; mais nous avions à peine traversé le champ de leurs ébats, que tous avaient reparu. Malgré la mauvaise réputation qu’on leur a faite d’attaquer les embarcations qui s’aventurent ainsi au milieu d’eux, ils avaient eu la bonté d’attendre sous l’eau que nous nous fussions éloignés.

Arrivés de bonne heure dans le Guai-biri, nous tentons d’entrer immédiatement dans le lac. Mais nous avions à peine fait deux milles que le canal se rétrécissant tout à coup, nous nous trouvons dans une impasse boueuse et infecte entourée de joncs de tous côtés et sans issue apparente. Force nous est de retourner sur nos pas.

Le lendemain matin nous repartons avec une petite pirogue du pays, et rendus dans l’impasse, nous nous engageons dans un fossé sinueux, dont il nous eût été impossible de deviner l’existence, et où l’on ne peut pénétrer qu’en abattant les joncs énormes qui l’obstruent. Bientôt il se tarit et le terrain s’élève. Mais le cas est prévu ; de grosses traverses de bois posées à demeure raffermissent le sol, et notre pirogue transformée en traîneau est vigoureusement enlevée sur cette sorte d’échelle. Pendant que nos noirs s’attellent à la pirogue, nous tâchons de les devancer en passant à travers les joncs, appuyés contre leurs tiges prismatiques solides comme de jeunes arbres, préservés contre l’envasement par le lacis serré que leurs racines forment à fleur de boue, et abrités du soleil par les magnifiques ombelles globuleuses qui les couronnent à dix pieds de hauteur. Cette belle plante doit être proche parente du papyrus des anciens, qui a donné son nom au papier. Pressés les uns contre les autres le nombre de ces joncs est vraiment prodigieux.

Après trois heures d’une marche pénible, tantôt en pirogue, tantôt dehors, toujours dans la fange, nous trouvons enfin le lac Anengué. Ses abords ne sont pas trompeurs ; ce n’est en réalité que la partie la plus déclive d’un marécage immense, peu profond, très-poissonneux, hanté par les crocodiles, et que nous avions attaqué probablement par son côté le plus fangeux. Des terres assez élevées l’entourent du côté du sud ; et entre ces mamelons la plaine mouvante que forment les panaches des joncs indique la continuation du marais. Les habitants des rares villages qui couronnent les hauteurs paraissent être depuis longtemps en relation avec les Européens établis à l’entrée de la rivière Fernand-Vaz, et auxquels ils livrent des dents d’éléphant et surtout de l’huile de palme et du caoutchouc.

Après avoir consacré la journée à cette rapide excur-