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Assise devant son royal époux, Agueille fumait sa pipe.

Nous n’insistâmes pas pour descendre dans ces petites îles, privilége qui n’appartient qu’aux grands féticheurs ; après en avoir fait le tour, nous allâmes à l’entrée d’un lac qui fait communiquer le fond du Jonanga avec un lac plus petit l’Éliva Wizanga.

C’est près l’entrée de ce canal qu’ont lieu les apparitions dont on nous avait tant parlé. Nous ne nous attendions pas à en jouir : elles n’ont lieu que dans la saison des pluies. Mais nous espérions que l’inspection des lieux pourrait peut-être nous donner la clef de ce phénomène, à la réalité duquel il nous fallait bien ajouter quelque foi, puisque tant de gens nous en avaient parlé sans se tromper sur l’époque, ni sur le lieu, sans varier dans les détails.

Voici en quoi il consiste. Pendant la saison des pluies, si l’on se place peu de temps après le lever du soleil devant l’entrée du canal, les yeux tournés vers l’ouest, on voit dans les nuages des formes blanches dans lesquelles les gens du pays qui ont été jusqu’à la mer prétendent reconnaître les navires qui passent au cap Lopez. Ils affirment les voir manœuvrer, serrer les voiles, tirer le canon, puis tout à coup disparaître. Sans admettre tous ces détails, ne peut-on pas pourtant supposer que le fait a un fond de vérité, et qu’il se passe là malgré la


Les Îles Sacrées du lac Jonanga. — Dessin de Riou d’après un croquis de M. Griffon du Bellay.


distance, quelque puissant effet de mirage ? Pour l’expliquer, il faudrait admettre qu’au moment de l’apparition les couches d’air en contact avec le sol sont plus froides et par conséquent plus denses que les couches supérieures, ce qui doit arriver en effet le matin, quand la terre est détrempée par les pluies torrentielles qui tombent pendant les nuits d’hivernage. Dans ces conditions, les rayons partis d’un navire et destinés à se perdre dans l’espace seraient abaissés successivement par la réfraction, décriraient une courbe embrassant dans sa concavité les terres élevées qui séparent le lac de la mer, et aboutiraient en définitive à l’œil de l’observateur. Celui-ci verrait donc, sur le prolongement de ces rayons déviés, des navires qui par leur position et leur éloignement échappent à sa vue normale. Quant à la courte durée de ces apparitions, elle n’aurait rien qui pût étonner ; l’ardeur du soleil équatorial, brûlant dès son lever, échauffe promptement les couches d’air inférieures, rétablit l’équilibre de densité, et égalise les pouvoirs réfringents ; alors les rayons déviés se redressent et la vision disparaît.

Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse ou non d’un mirage véritable, il y a certainement là un phénomène physique qui a frappé les gens du pays d’un respect superstitieux, et qu’il serait intéressant de vérifier.

Après cette rapide et curieuse excursion, nous rame-