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Il n’est guère probable que ces îles Sacrées doivent à de si paisibles habitants leur sombre réputation. Avec eux, en eux peut-être, habitent donc des génies mystérieux. Notre guide gallois était resté prudemment à Aroumbé. Nos laptots eux-mêmes, malgré leur titre de mahométans dont ils étaient si fiers, avaient cru devoir nous faire de sages observations. Mais Yondogowiro, le grand féticheur, était là pour conjurer la colère des génies. Ce fut une chose singulière que de voir ce petit vieillard, avec son habit de canonnier trop haut de col, trop court de manches, se lever dans la pirogue, et tendre ses bras suppliants vers les pélicans, l’oiseau le mieux fait assurément, pour recevoir avec la gravité qui convient ce religieux hommage. D’une main il agita la longue sonnette emblème de son autorité sacerdotale ; de l’autre il émietta dans le lac une galette de biscuit, puis il adressa aux génies cette invocation :

« Voilà les blancs qui viennent vous voir ; ne les rendez


Yondogowiro, roi des îles Sacrées. — Dessin de Émile Bayard d’après un croquis de M. Griffon du Bellay.


pas malades. Ils vous apportent des cadeaux de biscuit et d’alougou, faites qu’ils ne meurent pas et qu’ils arrivent bien portants au Gabon. »

La prière était naïve et paraissait sincère ; mais elle ne fut exaucée que pour moi, et M. Serval, moins favorisé des dieux de cet Olympe, s’en revint avec la fièvre. Les cadeaux annoncés avaient été pourtant libéralement donnés. Après la distribution des miettes de biscuit, Yondogowiro se remplit la bouche d’alougou (c’est ainsi qu’on nomme l’eau-de-vie de traite), et le jeta au vent par un mouvement d’aspersion dangereux pour ses voisins. Il ne fit pas d’ailleurs cette opération sans ingurgiter pour son propre compte une partie de l’offrande ; il prélevait la dîme. À plusieurs reprises la cérémonie fut renouvelée : prière, sacrifice et dégustation.