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nente, leur assignent un rang inférieur dans l’échelle intellectuelle. — Ils paraissent cependant industrieux, et fabriquent la plupart de ces nattes fines et souples, connues dans le commerce sous le nom de nattes de Loango ou de Loanda. Comme les Pahouins, ils ont les dents limées et pointues.

Sur les versants boisés des monts Ashaukolos, habitent les Bakalais que nous avons déjà vus au Gabon, race guerrière, qui exploite les Ashiras au profit des négriers, et n’épargne les riverains du fleuve que parce que ceux-ci leur servent d’intermédiaires avec les traitants de la côte.

Deux villages seulement du lac Jonanga leur appartiennent. Celui d’Azinguibouiri, où nous venions d’arriver, est gallois. Nous y fûmes accueillis avec cordialité. Le roi avait mis pour nous faire honneur ses plus beaux ornements, un pagne de cotonnade d’une propreté douteuse, et un chapeau blanc d’origine européenne qui semblait avoir payé par de longs services antérieurs l’honneur de couronner une tête royale.

Le lendemain, nous prîmes enfin la route de ces fameuses îles fétiches, dont on ne cessait de nous entretenir, ou plutôt de l’île d’Aroumbé qui est seule habitée.

Gardienne naturelle des lieux saints de la religion galloise, elle doit à ce voisinage un privilége spécial ; elle forme des féticheurs pour les autres villages, et son roi est lui-même un chef religieux important.

Nous fûmes accueillis sur la plage par une dizaine d’enfants à la figure intelligente voués au culte des fétiches, et vêtus à ce titre d’un costume assez bizarre. La pièce principale est un pagne bakalais retenu sur les hanches par une ceinture de perles blanches et orné d’arabesques, les unes de perles, les autres faites avec une sorte de chenille rouge ; à son bord sinueux et festonné pendent des grappes de perles bleues et des sonnettes. Des colliers de grosses perles de toutes couleurs pendus au cou ou passés en sautoir ; des bracelets en chenille rouge aux bras et aux jambes, des anneaux de cuivre jaune aux poignets et aux chevilles complètent ce costume original. Les petits féticheurs le gardent jusque vers l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, époque à laquelle ils sont initiés aux secrets de la religion, « ils voient le fétiche, » selon l’expression reçue. Jusque-là le célibat est pour eux de rigueur. Une fois initiés, ils deviennent féticheurs en titre et rentrent dans la vie commune.

Accompagnés de ces lévites d’un nouveau genre, nous montâmes au village d’Aroumbé, où nous attendîmes que le roi voulût bien nous honorer de sa visite. Il lui fallut un certain temps pour revêtir son habit de cérémonie qui méritait en effet des égards. C’était un uniforme ayant appartenu je ne sais à quelle armée, orné d’épaulettes de laine jaune à graines d’épinards, de galons de caporal et de boutons portant en relief trois canons superposés avec cette devise : Ubique (partout). Jamais devise fut-elle mieux justifiée ? Et qui sait par quelles péripéties a passé cet habit de caporal avant de venir au fond de ce lac inconnu servir de vêtement d’apparat à un vieux roi nègre ?

Si l’habit pouvait passer pour riche, le reste du costume donnait, hélas ! une médiocre idée de la fortune de ce roi-pontife et de la ferveur des fidèles du pays.

Yondogowiro, ainsi se nomme ce bizarre personnage, n’est pas, à vrai dire, le grand chef de la religion. Celui à qui appartient cette autorité dont il est difficile d’apprécier la valeur, habite un village de l’Ogo-Wai et paraît rarement à Aroumbé. Tous deux appartiennent à des familles sacerdotales ; pour ne pas déroger à sa noble origine, Yondogowiro s’est marié à une cousine du féticheur suprême, qui lui-même a épousé plus tard N’Gowa, fille de son nouveau cousin. Ces deux dames, alors présentes à Aroumbé, nous offrirent des types parfaits des coiffures adoptées dans le pays, et qui diffèrent assez de celles des Gabonaises pour que j’aie tâché de les reproduire par le crayon (voy. p. 319).

De la case où nous reçut le roi, nous jouissions d’un spectacle assez curieux. Un bouquet de bananiers plantés au milieu du village a été adopté par un petit oiseau qui y a élu domicile, et y fait son nid aux dépens de la plante elle-même. On sait que la feuille du bananier est une longue arête bordée de chaque côté de fibres nombreuses dont la juxtaposition constitue la partie plane, le limbe de la feuille. C’est une immense plume dont les barbes sont agglutinées. L’oiseau isole ces fibres une à une sans les détacher de l’arête, puis il les tresse et les feutre. Chaque feuille ainsi déchiquetée fournit les matériaux d’une dizaine de nids qui restent suspendus à la nervure médiane. Rien de plus gracieux que cette république ailée qui semble prendre à cœur de payer par une gaieté bruyante l’hospitalité du village.

Accompagnés de Yondogowiro et de la reine Agueille, nous allâmes dans l’après-midi voir les îles Sacrées ; et, je me hâte de le dire, malgré de sinistres prédictions, ce fut une promenade aussi agréable que peut l’être une course en pirogue sous l’équateur par une température de 39° 5 dixièmes (ciel couvert).

Qu’on se figure deux îlots, ou plutôt deux énormes bouquets de verdure, se mirant dans une eau d’une limpidité parfaite et littéralement couverts d’une nuée d’oiseaux de toute forme et de toutes couleurs, qui se livraient à leurs ébats dans la plus profonde sécurité. — De grands ibis à masque rouge, perchés sur des pointes de rochers, nous regardaient passer à quelques mètres d’eux, et se dressant de toute la hauteur de leurs longues pattes, agitaient leurs ailes roses bordées d’un beau liseré noir. Au-dessus de nos têtes une sorte de vautour d’un blanc jaunâtre, de grands oiseaux noirs de haut vol, des martins-pêcheurs, s’agitaient dans l’air. Plus calmes de leur nature, une foule de pélicans ont établi leur domicile sur quelques grands arbres qui payent cher l’honneur de les loger ; dépouillés de leurs feuilles, brûlés par le guano dont ils sont couverts, ils ne verdiront plus ; ce ne sont que d’énormes perchoirs d’où les pélicans regardent passer l’eau, la tête à moitié cachée dans la plume et le jabot pendant sur la poitrine.