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sur les rochers qui surplombent directement la mer, et leur nombre est tel que ces rochers sont connus sous le nom de montagnes d’oiseaux (Vogelberge). Les escarpements de ces rochers, formés d’assises, en retrait les uns derrière les autres, semblables aux galeries et aux loges d’une salle de spectacle, sont couverts de femelles accroupies sur leurs œufs, la tête tournée vers la mer, aussi nombreuses, aussi serrées que les spectateurs dans un théâtre le jour d’une première représentation. Devant le rocher, les mâles forment un nuage d’oiseaux s’élevant dans les airs, rasant les flots et plongeant pour pêcher les petits crustacés, qui forment la principale nourriture des couveuses. Décrire l’agitation, le tourbillonnement, le bruit, les cris, les coassements, les sifflements de ces milliers d’oiseaux de taille, de couleur, d’allure, de voix si diverses, est complétement impossible. Le chasseur, étourdi, ahuri, ne sait où tirer dans ce tourbillon vivant ; il est incapable de distinguer, et encore moins de suivre l’oiseau qu’il veut ajuster. De guerre lasse, il tire au milieu du nuage ; le coup part ; alors le scandale est au comble ; des nuées d’oiseaux perchés sur les rochers ou nageant sur l’eau s’envolent à leur tour et se mêlent aux autres ; une immense clameur discordante s’élève dans les cieux : loin de se dissiper, le nuage tourbillonne encore plus ; les cormorans, immobiles auparavant sur les rochers à fleur d’eau, s’agitent bruyamment ; les hirondelles de mer volent en cercle autour de la tête du chasseur et le frappent de l’aile au visage. Toutes ces espèces si diverses, réunies pacifiquement sur un rocher isolé au milieu des vagues de l’océan Glacial, semblent reprocher à l’homme de venir troubler jusqu’au bout du monde la grande œuvre de la nature, celle de la reproduction et de la conservation des espèces animales. Les femelles seules, enchaînées par l’amour maternel, se contentent de mêler leurs plaintes à celles des mâles indignes ; elles restent immobiles sur leurs œufs jusqu’à ce qu’on les enlève de force ou qu’elles tombent frappées sur ce nid qui recélait les espérances et les joies de la famille.

Barque attaquée par des morses. — Dessin de V. Foulquier d’après une peinture murale du Muséum d’histoire naturelle.

Les oiseaux ne sont pas rangés au hasard sur les corniches des rochers. Dans une salle de spectacle, la richesse établit entre les spectateurs une classification qui serait probablement fort différente, si elle était fondée sur le goût ou l’intelligence ; de même sur un Vogelberg les espèces ornithologiques ne sont point mêlées confusément. Il en est où domine le pétrel du Nord, le Procellaria glacialis, le plus hardi des oiseaux de mer. M. Malmgrén a vu un rocher de ce genre par 80° 24′. Les guillemots à miroir (Uria grille) occupaient les assises inférieures ; les pétrels tout le milieu sur une hauteur de 250 mètres, et en haut était la mouette à man-