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poltron, puis je déclarai gravement que je ne voulais pas compromettre mes gens et que j’allais repartir pour Gafat : décision qui fut acceptée avec un soulagement inexprimable.

Je ne me tins pas pour battu, et après quelques jours de séjour à Gafat, n’entendant plus parler de pillages, je résolus de reprendre le chemin de Koarata. Nous étions aux premiers jours de juillet : les rivières avaient grossi, et je ne savais trop comment faire pour passer la Goumara, qui se forme de trois rivières au-dessous de Mahdera-Mariam, et atteint, dans la plaine de Fogara le débit d’eau moyen du Danube devant Vienne. Le plan le plus sage était donc de faire un grand détour pour passer séparément les diverses branches de ce fleuve, et par conséquent de prendre par Mahdera-Mariam, ville commerçante que je n’étais pas fâché de visiter.

Je franchis successivement, en traversant un pays très-boisé et assez populeux, deux bras de la Goumara, la Koualha et la rivière qu’on appelle Sevat-Wodel (des sept hommes forts). Elle doit son nom, me dit-on, à sept frères, sept hercules fort redoutés dans le pays et qui s’y noyèrent en essayant de la franchir à l’époque des hautes eaux. Le soir même, j’arrivais en vue de l’énorme rocher basaltique dont le sommet plat supporte la ville de Mahdera-Mariam, jolie cité qui se présente de loin comme Emfras que j’ai déjà décrite, groupant ses maisons entourées de jardins autour des massifs de genévriers qui indiquent les églises.

Mahdera-Mariam veut dire le « repos, l’étape de la Vierge » (ader, dormir) ; mais je ne connais pas la légende qui s’attache à ce nom. Le rocher en forme de hache sur lequel elle se développe, présente de tous côtés de formidables escarpements, sauf du côté d’une sorte d’isthme qui le relie au plateau et par lequel on monte à la ville par une pente assez douce. La route de


La roche Kanzila. — Dessin de Eugène Ciceri d’après un croquis de M. G. Lejean.


Godjam grimpe en lacis le long de l’escarpement du sud, et aborde le rocher par son angle sud-ouest, d’où le curieux jouit d’une vue splendide sur toute la vallée du Mataraï et le massif du Gundataman.


XVI


Retour à Choumaghina. — Un bossu pervers. — L’auteur dans un sac. — Tankoa. — Arrivée à Koarata.

Je ne dépassai Mahdera que d’une douzaine de lieues : les terreurs de mon monde, le mauvais vouloir des gens du pays, me forcèrent à retourner sur mes pas et à reprendre la route de Choumaghina, déjà décrite. Quelques heures après Choumaghina, j’atteignais Oanzaghié, ainsi nommé à cause des beaux arbres oanza qui l’ombragent. J’y passai la nuit, et le lendemain matin, qui était un dimanche, comme nous passions près de l’église de Tankoa, mes gens trouvèrent un paysan bossu qu’ils requirent de les mettre dans le bon chemin dont nous étions sortis. Nous en étions à dix minutes, et ce petit service ne se refuse nulle part ; mais l’obligeance n’est pas le fort de l’Abyssin.

Le bossu refusa net ; on voulut employer la force, notre homme hurla Theodoros amlak (par la divinité de Théodore), ce qui est le cri de haro des Abyssins. Mais j’avais un homme du négus qui cria plus fort que le bossu ; celui-ci alors s’étendit sur le dos, joua des pieds d’après un procédé bien connu des éperviers et des gamins, se laissa traîner, voire un peu cogner, et mes gens, par respect pour le courage malheureux, le laissèrent là en se bornant à lui demander la route qui menait à la Goanta. Vingt minutes après, un passant que nous rencontrâmes et à qui nous demandâmes le chemin, nous apprit que nous lui tournions le dos et nous remit dans la bonne voie dont le maudit bossu nous avait méchamment écartés.

La Goanta est une rivière qui coule lentement dans