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sont le résultat définitif de ce long et pénible travail. Je me figure que le phoque aurait bien ri s’il avait su pourquoi cet homme venu de si loin se morfondait si longtemps dans une embarcation devant un glacier du Spitzberg.

En hiver, le phoque est exposé à d’autres dangers : les fiords gêlent, et le besoin de respirer l’amène dans le voisinage des trous et des intervalles que la croûte de glace présente de loin en loin. Mais quand il veut émerger hors de l’eau, l’ours polaire est là qui le guette et le saisit avec sa formidable griffe ; le phoque plonge de nouveau, heureux s’il rencontre un autre trou par lequel il puisse sortir la tête hors de l’eau et respirer un moment. S’il ne trouve pas d’ouverture dans le voisinage, il meurt dévoré par l’ours ou asphyxié sous la glace.

Certaines espèces de phoques ne sont pas sédentaires, mais naviguent sur les bancs de glaces flottantes que les vents et les courants poussent dans toutes les directions sur la mer glaciale. Ainsi M. Torell a vu des troupeaux de phoques du Groenland (Phoca groenlandica) sur des glaces flottantes entre l’île de l’Ours et le Spitzberg. Dans cette dernière île, le phoque du Groenland manquait totalement, tandis que le phoque à moustaches (Phoca barbata) était très-commun : il se tenait sur la glace qui remplissait les baies et les fiords ; mais quand celle-ci fut entraînée en juillet vers la pleine mer, ce phoque émigra à son tour, et on ne rencontrait plus que le phoque fœtide.

Le morse ou vache marine (Trichecus rosmarus), est un autre animal appartenant à la même famille que les phoques. C’est un de ces êtres que l’homme du monde appelle difformes, parce qu’ils ne rentrent dans aucun des moules auxquels nous attachons actuellement l’idée de beauté : sa tête, à peine séparée du corps, porte deux énormes canines recourbées en arrière qui sortent de sa gueule. Son corps cylindrique atteint quelquefois cinq mètres de long et trois mètres de circonférence. Les membres ressemblent à ceux des phoques. À terre, vu le poids de son corps, le morse se meut encore plus difficilement que le phoque, mais il nage admirablement, vit par troupes sur les côtes, ou navigue sur les glaces flottantes. Il se nourrit de mollusques, parmi lesquels deux coquilles bivalves, Mya truncata et Saxicava rugosa, forment la base de son alimentation. On ne se hasarde guère à attaquer les morses à la mer, car ils se défendent mutuellement, attaquent les embarcations et les font chavirer en se suspendant du même côté à l’aide des longues canines dont leur mâchoire supérieure est armée. C’est à terre, où ils peuvent à peine se traîner, que l’homme les tue lâchement à coups de lances et de harpons. Leur peau, qui sert à faire des soupentes de carrosses, leurs dents, l’huile de leur graisse, sont les produits qui allument la cupidité des chasseurs. Aussi les morses sont-ils devenus rares sur les côtes occidentales du Spitzberg. Je n’en ai vu qu’un seul qui naviguait endormi sur une glace flottante. Un coup de fusil le réveilla, mais il n’avait pas été blessé, et disparut immédiatement sous les flots. Ces animaux sont plus communs sur la côte orientale du Spitzberg, qui est habituellement bloquée par les glaces. Dans les années où cette banquise se rompt, les chasseurs se rendent dans ces parages ; les morses se sont multipliés en paix, et ils en font un horrible massacre.

Tous les autres mammifères marins du Spitzberg appartiennent à la famille des Cétacés. Extérieurement ces animaux ressemblent aux poissons dont ils diffèrent néanmoins radicalement ; car ils mettent au monde des petits vivants que la mère allaite pendant longtemps, ils respirent par des poumons et n’ont que deux nageoires ou plutôt deux rames pectorales dont la structure est celle des membres antérieurs d’un mammifère et non d’un poisson. Sur le dos on remarque souvent une nageoire dorsale. Les membres postérieurs manquent complètement. La queue, ordinairement fourchue, est horizontale et non verticale comme celles des poissons : c’est un puissant instrument de locomotion qui agit à la manière de l’hélice des bateaux à vapeur. Chez la plupart des cétacés la tête égale le quart ou même plus de la longueur de l’animal et tous ceux dont nous allons parler sont connus des naturalistes sous le nom de Cétacés souffleurs : ils portent en effet à la partie antérieure et supérieure de leur tête une ouverture qui communique avec l’arrière-bouche et les fosses nasales ; ces animaux expulsent avec force par cette ouverture l’air qui a pénétré dans leurs poumons ou l’eau qu’ils ont avalée. Dans ce dernier cas un jet s’élance au-dessus de leur tête. De loin on reconnaît les baleines à ce jet d’eau qu’on a vu s’élever à la hauteur de douze mètres. Tous ces cétacés sont carnivores et leur bouche est garnie de dents similaires et pointues ou de fanons appelés vulgairement baleines.

Commençons par les dauphins qui sont relativement les plus petits des cétacés. Le dauphin blanc ou beluga (Delphinapterus leucas, Pallas) est un animal d’un blanc sale, de quatre à six mètres de long ; il nage en faisant les culbutes dans l’eau à la manière des marsouins et en soufflant avec force pour rejeter l’air par l’évent qui s’ouvre verticalement au-dessus du museau ; il n’a point de nageoire dorsale. Deux d’entre eux passèrent un jour près d’une embarcation dans laquelle je me trouvais avec quelques matelots ; nous comprîmes tous qu’un seul coup de leur puissante queue aurait suffi pour la chavirer.

L’épaulard ou dauphin gladiateur, Butzkopf des Hollandais (Phocæna orca Cuv.), est un marsouin dont la nageoire dorsale ressemble à un sabre ; il atteint six à huit mètres, vit en troupes qui, dit-on, attaquent la baleine ; ils nagent avec une telle rapidité qu’il est impossible de les harponner : on les tue à coup de fusil.

Les narvals-licornes[1] sont de grands cétacés longs de quatre à six mètres, armés d’une dent mesurant de deux à trois mètres, qui s’avance au delà du museau, dans le prolongement du corps. Cette dent unique devrait être double, mais l’une avorte presque toujours, l’autre se développe seule : elle est fusiforme, contour-

  1. Monodon monoceros, L.