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dont les bons mots ont traditionnellement couru toute l’Abyssinie.

Un plaideur qui voulait le gagner à sa cause lui avait donné un gombo (jarre) de miel : la partie adverse l’ayant appris, s’empressa de lui offrir une mule. La cause étant appelée devant le négus, Lik Asgo plaide chaudement contre l’homme au miel, qui perd et fait ensuite de vifs reproches au juge. « Que veux-tu, mon frère, lui dit ingénument Asgo : une mule a cassé ton gombo d’un coup de pied. »

Asgo avait été exilé au Semen pour ses intrigues, et ne cessait, comme Ovide à Tomes, de maudire sa nouvelle patrie. Un Semenya mécontent lui fit l’observation ironique que si son pays natal était préférable à son nouveau séjour il devait y retourner. Asgo répondit :

Agher lata Semyen
Meghev lata gomen.

À ceux qui n’ont pas de patrie, le Semen : à ceux qui n’ont rien à manger, le gomen » (sorte de lentille amère qui est l’aliment des pauvres).


XI


Towari.

On m’avait parlé de la petite église de Towari, à une heure de ma résidence, comme d’un lieu où je pouvais


Le Makar-Oanz. — Dessin de Eugène Ciceri d’après un croquis de M. G. Lejean.


trouver des peintures murales d’un certain intérêt. Je tenais d’autant plus à les voir que je ne partageais pas du tout le dédain un peu superficiel de Lefèvre et autres voyageurs pour les produits du pinceau abyssin, et je voulais juger par moi-même, dont bien me prit.

Je montai à mule, et après avoir traversé une belle plaine à sol blanchâtre et léger, je descendis par une pente assez roide et fort pierreuse à une petite rivière qui porte le nom expressif de Berhan (lumière), et qui passe là entre deux collines rocheuses d’un bel aspect. Un quart d’heure plus tard j’entrais dans le bois de genévriers qui entoure l’église de Towari.

J’ai dit que les Abyssins placent leurs églises au centre de véritables bois sacrés, car je ne puis appeler autrement les massifs de genévriers qui font à ces temples des ceintures d’un effet si charmant et si majestueux à la fois. Souvent cette enceinte concentrique à l’église est elle-même entourée d’une véritable forêt, où le genévrier se marie à des arbres de toute espèce sans oublier les lianes et autres plantes grimpantes qui donnent à l’ensemble un aspect de forêt vierge, mais sans les exhalaisons putrides qui distinguent celles du nouveau monde et de la Nigritie. Ici, au contraire, un air toujours pur se joue avec la lumière à travers les masses de verdures à tons variés. Dans les herbes pointillent toutes sortes de fleurs, qui toutes s’effacent devant le