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tue beaucoup à la fois. Le renne n’a d’autre ennemi que l’ours blanc, mais celui-ci ne chasse guère sur la terre ferme, et il ne pourrait atteindre que par surprise un animal aussi méfiant et aussi rapide à la course que le cerf du Nord.

Vue du panorama de Belle-Sound. — Dessin de V. Foulquier d’après l’atlas de la Recherche.

Dans les contrées boréales, la mer est toujours plus peuplée que la terre. Cette règle n’est pas en défaut pour les mammifères. Quatre seulement sont terrestres, mais douze sont marins. Parlons d’abord des phoques ou chiens marins. Vivant de poissons, ils se rapprochent par leurs mœurs des carnassiers amphibies tels que les loutres, dont l’aspect et l’organisation extérieure est celle des carnivores ordinaires. Les phoques forment la transition entre ces animaux et les cétacés. Leurs membres, en forme de rames, ne leur permettent pas de se mouvoir à terre ; ils ne peuvent que se traîner péniblement, mais ils plongent et nagent admirablement à l’aide des membres postérieurs qui, placés dans le prolongement du corps, rappellent par leur position et par leur forme la queue des cétacés, tels que les dauphins et les marsouins. Trois espèces de phoques habitent les côtes du Spitzberg[1] ; ils vivent de poissons, de mollusques et de crustacé es et se tiennent en général dans les baies tranquilles, où la nourriture est plus abondante : c’est là que tous les ans des pêcheurs russes et norvégiens leur font une guerre implacable. Nul animal ne mérite moins cette persécution. On ne le poursuit que pour s’emparer de sa peau et extraire l’huile de sa graisse ; lui-même, paisible et inoffensif, essaye de se rapprocher de l’homme ; ses grands yeux, d’une douceur incomparable, semblent implorer sa bienveillance, ou du moins sa pitié. Lorsque je passais des heures entières devant le glacier de Magdalena-Bay pour prendre la température du fond de la mer, un phoque arrivait chaque fois ; il nageait autour de l’embarcation, élevait sa tête au-dessus de l’eau, et paraissait vouloir deviner à quelle occupation se livraient les êtres nouveaux pour lui qui s’y trouvaient. Je me gardais bien de l’effaroucher, et il s’approchait tous les jours davantage. Il dut croire que l’homme n’était pas un animal malfaisant ; devenu confiant, il voulut contempler la corvette de trop près, et fut tué d’un coup de fusil. Nous quittâmes la baie de la Madeleine quelques jours après ; et je n’eus pas le temps de regretter cet animal qui venait par sa présence animer ces eaux glaciales, et abréger les longues heures que les exigences de la physique me forçaient à passer avec quelques matelots devant la muraille de glace qui terminait la baie. Il s’agissait de savoir si la température de l’eau de mer descend au-dessous de zéro sans geler. Quelques chiffres

  1. Phoca barbata, Fabr. ; P. grœnlandica, Fabr. ; P. hispida, Erxl., (P. fœtida, Fabr.).