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cription et à l’histoire de notre planète. L’archipel du Spitzberg se compose d’une île principale qui a donné son nom à tout le groupe, et de deux autres grandes îles, l’une plus petite au sud, l’autre plus grande au nord, la terre des États et la terre du nord-est. L’île du Prince-Charles est située sur la côte occidentale, et une chaîne de petits îlots appelée les Sept-Îles s’avance directement vers le pôle. L’îlot de la Table est le dernier rocher qui surgisse au sein de la mer Glaciale. Avant de décrire le Spitzberg, traçons rapidement l’histoire de sa découverte et des explorations dont il a été le théâtre.


Découverte et explorations du Spitzberg.

Vers la fin du seizième siècle, les Hollandais, affranchis du joug espagnol, cherchaient à étendre leur commerce dans toutes les parties du monde, et particulièrement dans le Levant. Forcées de longer les côtes occidentales de l’Espagne, leurs paisibles galiotes y rencontraient les corsaires espagnols. L’idée d’aller aux Indes par le nord surgit dans les esprits. Les Provinces-Unies équipèrent dans ce but trois bâtiments, le Cygne, commandé par Corneliss, le Mercure par Ysbrandtz, et le Messager par Barentz. Ces navires s’avancèrent jusqu’au détroit de Waigatz ou de Kara, qui sépare la Nouvelle-Zemble de la Russie, et crurent avoir découvert le passage cherché. Une seconde expédition, commandée par Heemskerke, le traversa l’année suivante. La saison étant trop avancée, les navires furent forcés de revenir en Hollande. Découragés par ces insuccès, les États généraux refusèrent de solder une troisième expédition, mais promirent une prime considérable à celui qui parviendrait à découvrir ce passage. La ville d’Amsterdam résolut de faire une nouvelle tentative. Elle équipa deux navires, dont l’un était sous les ordres d’Heemskerke, l’autre sous ceux de Jean Corneliss. Guillaume Barentz était le pilote et l’âme de l’expédition : elle partit du Texel le 18 mai 1596. Le 9 juin, les Hollandais découvrirent une île d’un aspect désolé ; une montagne nue s’élevait au milieu. Barentz lui donna le nom de Jammerberg, montagne de la désolation, et ses hommes ayant tué un ours colossal, l’île reçut le nom de Beereneiland. C’est celle que l’Anglais Steven-Bennet a revue en 1603, et nommée Cherie-Island, du nom de son armateur. Située entre la Norvége et le Spitzberg par 74° 35′, elle est quelquefois visitée par les chasseurs d’ours et les pêcheurs de morses. En quittant Beereneiland, les navires piquèrent dans l’ouest-nord ouest. Le 17 juin, ils étaient par 81° 10′ de latitude, et en louvoyant pour sortir des glaces, ils découvrirent une terre élevée et couverte de neige. Le 21, ils mouillèrent dans une baie, celle de Smeerenberg, par 79° 44′ de latitude, entre les îles et la terre. Continuant à longer cette terre dans la direction du sud-sud-est, et la voyant hérissée de montagnes aiguës, ils lui donnèrent le nom de Spitzbergen, et suivirent la côte jusqu’à son extrémité par 76° 35′. Le 1er  juillet, ils revirent l’île de l’Ours.

Différant dans leurs appréciations sur la route à suivre, les commandants se séparèrent ; Barentz se dirigea vers le nord-est, hiverna à la Nouvelle-Zemble, et mourut dans une embarcation, le printemps suivant, en quittant cette terre désolée et en vue du cap qu’il avait doublé l’année précédente avec une si vive émotion ; car il croyait avoir découvert ce passage du nord-est, qui devait ouvrir une route nouvelle au commerce de sa patrie. Cependant Corneliss était remonté dans le nord, et s’était retrouvé sur les côtes du Spitzberg par 80° de latitude près de l’île Amsterdam, où son navire avait jeté l’ancre le mois précédent.

Pendant tout le cours du dix-septième siècle, de nombreux baleiniers fréquentaient les côtes du Spitzberg. De juin à septembre les baies de la partie septentrionale étaient animées par un grand concours de marins actifs et résolus, chaque nation avait son port de refuge : des villages composés de maisons en planches apportées par les navires s’élevaient comme par enchantement : le plus beau était celui de Smeerenberg ; les Hollandais y retrouvaient les estaminets d’Amsterdam, et un quartier appelé Haarlemer-Cookery était consacré à la fonte de la graisse de baleine. Vers l’automne, ces colonies temporaires disparaissaient ; maisons et habitants retournaient en Hollande. En 1633, sept hommes passèrent l’hiver, et furent retrouvés sains et saufs. L’année suivante, sept autres voulurent braver les mêmes périls ; le soleil disparut le 20 octobre. Un mois après, un d’eux présenta des symptômes de scorbut, et succomba le 24 janvier. Atteints tous successivement de cette cruelle maladie, ils cessèrent le 26 février d’écrire leur journal. Celui qui le rédigeait traça d’une main tremblante ces dernières lignes : « Nous sommes encore quatre couchés dans notre cabane, si faibles et si malades que nous ne pouvons nous aider les uns plus que les autres. Nous prions le bon Dieu de venir à notre secours et de nous enlever de ce monde où nous n’avons plus la force de vivre. » Ces tentatives et celles que font encore les chasseurs russes prouvent qu’il est possible d’hiverner au Spitzberg. Je pense comme Scoresby que dans une habitation convenable en bois, avec de la houille, des conserves alimentaires et du vin généreux, un pareil hivernage ne présenterait pas de sérieux dangers.

Parlons actuellement du voyage qui a le plus contribué à faire connaître le Spitzberg ; c’est celui d’un baleinier hambourgeois appelé Frédéric Martens. Sorti de l’Elbe le 15 avril 1671, il revint le 29 août. Après avoir reconnu l’île de Jan-Mayen, il s’était dirigé vers le nord du Spitzberg, avait chassé les baleines sur la côte nord-ouest, entre la baie de la Madeleine et le détroit de Hinlopen, et s’était avancé jusqu’au 81e degré de latitude. Il descendit à terre dans la baie de la Madeleine, à Beau-Port (Fair-Haven), à Smeerenberg, à la baie des Moules (Mussel-Bay), et au havre sud (Zuid-Haven). Sa relation est fort complète. Il décrit le Spitzberg, puis traite de la mer, de la glace, de l’air, des plantes, des animaux ; donne les détails les plus intéressants et les plus véridiques sur les mœurs et la pêche de la baleine ou des grands cétacés que l’on trouvait sur les côtes du Spitzberg à cette époque.