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lines. Le granit y est très-commun. Les sept îles, au nord de l’archipel, sont entièrement granitiques. Le granit est donc la roche dont se composent les dernières terres dans le nord de l’Europe. Plus au sud apparaissent des calcaires quelquefois dolomitiques, appartenant probablement aux formations anciennes, et traversés par des filons de roches hypersthéniques, espèce de porphyre fort rare qui ne se rencontre qu’en Scandinavie et au Labrador. Sur d’autres points, on a retrouvé les mêmes roches ; mais dans le détroit de Hinlopen et près de Bell-Sound, on observe des calcaires fossilifères. D’après l’inspection des fossiles, M. de Konnink les a rapportés au terrain permien, formation reposant sur le terrain houiller et qui tire son nom du gouvernement de Perm en Russie. Dans la baie du Roi (Kings-Bay), M. Blomstrand a signalé ce terrain carbonifère avec des traces de combustible. On comprend toutes les difficultés que rencontre le géologue dans un pays couvert de neige et de glace. Néanmoins, d’après les indications que nous possédons, on peut dire que le Spitzberg appartient aux formations anciennes du globe, aux terres émergées dès l’origine du monde, et où manquent tous les terrains formés par des mers où se sont déposées les couches jurassiques, crétacées et tertiaires.


Flore du Spitzherg.

Après le tableau que nous avons tracé du climat et de la constitution physique du Spitzberg, le titre de ce chapitre doit sembler invraisemblable. Quelle végétation peut-il y avoir dans un pays couvert de neige et de glace, où la température moyenne de l’été est de +1°,3, c’est-à-dire inférieure à celle du mois de janvier à Paris ? Existe-t-il des plantes capables de vivre et de se propager dans de pareilles conditions de sol et de climat ? Néanmoins, quand on aborde au Spitzberg, on aperçoit çà et là certaines places favorablement exposées, où la neige a disparu. Ces îles de terre éparses au milieu des champs de névé qui les entourent, semblent d’abord complétement nues ; mais en s’approchant on distingue de petites plantes microscopiques pressées contre le sol, cachées dans ses fissures, collées contre les talus tournés vers le midi, abritées par des pierres ou perdues dans les petites mousses et les lichens gris qui tapissent les rochers. Les dépressions humides, couvertes de grandes mousses du plus beau vert, reposent l’œil attristé par la couleur noire des rochers et le blanc uniforme de la neige. Au pied des falaises habitées par des oiseaux marins, dont le guano active la végétation sur la terre qu’il échauffe, des renoncules, des Cochlearia, des graminées, atteignent quelquefois une hauteur de plusieurs décimètres, et au milieu des éboulements de pierres s’élève un pavot à fleurs jaunes (Papaver nudicaule), qui ne déparerait pas les corbeilles de nos jardins. Nulle part un arbuste ou un arbre : les derniers de tous, le bouleau blanc, le sorbier des oiseleurs et le pin Sylvestre s’arrêtent en Norvége sous le 70e degré de latitude. Néanmoins, quelques végétaux sont de consistance ligneuse ; d’abord, deux petites espèces de saules appliqués contre le sol, dont l’un, le saule à feuilles réticulées qui croît également dans les Alpes, et un arbrisseau s’élevant au-dessus des mousses humides, l’Empetrum nigrum, qu’on trouve dans les marais tourbeux de l’Europe, jusqu’en Espagne et en Italie. Les autres plantes sont d’humbles herbes sans tige dont les fleurs s’épanouissent à terre. La plupart sont si petites qu’elles échappent aux yeux du botaniste, qui ne les aperçoit qu’en regardant soigneusement à ses pieds. La preuve en est dans le lent accroissement de l’inventaire des plantes phanérogames du Spitzberg, qui n’a été complété que peu à peu par les recherches successives des voyageurs qui ont exploré ces îles. Ainsi en 1675, Frédéric Martens, de Hambourg, décrit et figure seulement onze espèces terrestres, Phipps, en 1773, n’en rapporta que douze, qui furent nommées et décrites par Solander. Scoresby était presque toujours à la mer ; aussi le nombre total des espèces qu’il a recueillies dans ses voyages ne s’élève-t-il qu’à quinze décrites, en 1820, par le célèbre Robert Brown. En 1823, le capitaine, actuellement général, Sabine, en rassembla vingt-quatre, que sir W. Hooker prit le soin de déterminer. Le même botaniste a fait connaître les quarante espèces récoltées par Parry en 1827 pendant son séjour au nord du Spitzberg. Sommerfelt a ensuite dénommé quarante-deux espèces rapportées la même année par Keilhau du Spitzberg méridional et de l’île de l’Ours. En 1838 et 1839, un botaniste danois, M. Vahl et moi, avons recueilli à Bellsound, à Magdalena-Bay et à Smeerenberg, cinquante-sept espèces. Le voyage de MM. Torell, Nordenskiœld et Quennerstedt, en 1858, a enrichi la Flore du Spitzberg de six espèces, et celui de la commission scientifique suédoise, en 1861, de vingt et une. M. Malmgrén, botaniste de l’expédition, en éliminant les doubles emplois et distinguant les espèces confondues par ses prédécesseurs, porte à quatre-vingt-treize le nombre total des plantes phanérogames du Spitzberg.

Je ne parlerai pas des cryptogames, c’est-à-dire des mousses qui tapissent le fond des dépressions humides, et recouvrent les marais tourbeux. Je passe également sous silence les lichens qui croissent sur les pierres jusqu’au sommet des montagnes et résistent aux froids les plus rigoureux ; car la plupart ne sont jamais recouverts par la neige. M. Lindblom portait déjà le nombre de ces cryptogames à 152 avant les deux dernières expéditions suédoises. On voit que la loi émise par Linnée sur la prédominance des cryptogames dans le Nord se vérifie pleinement, et en additionnant les phanérogames avec les cryptogames, la somme totale des végétaux connus du Spitzberg s’élèverait à 245.

Ch. Martins.

(La fin à la prochaine livraison.)