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cielles ; c’étaient sans doute des garçons d’honneur qui s’en allaient vers l’épouse et lui portaient la corbeille de noce. Hélas ! je me trompais ; ce chemin était celui par lequel s’en vont les morts, et le coffret un petit cercueil d’enfant, que des indifférents allaient rendre à la terre !

Un incident dont je fus témoin à peu près en même temps dans ce pays de Dubbeln, donnera peut-être une idée de la manière dont se font ou se défont les mariages dans la classe moyenne, où les mœurs sont plus allemandes que russes, avec un mélange des unes et des autres. Les femmes rêvent volontiers des âmes-sœurs qui se réunissent un jour, si Dieu le veut, sur la terre, à moins qu’elles doivent se réunir seulement dans le ciel. Elles devisent aussi volontiers, avec une sentimentalité naturelle, des clartés de la lune, l’astre de la nuit, du mariage, de l’amour, de la rêverie, la schwœrmerei. Il n’est par de promise qui ne fasse parade d’aimer ou qui n’aime éperdument son fiancé.

À Dubbeln, dans la même chambre que moi, la place manquant, habitait un jeune médecin, le docteur K…, qui revenait de Perse. Il n’était ni mal ni bien, plutôt bien que mal, intelligent, fort décoré, tant de la Russie que de la Perse. Il avait reçu de cette dernière en faux brillants, la décoration du Lion et du Soleil. Pendant six ans, il n’avait aperçu que des femmes de l’Orient, sur le compte desquelles il trouvait qu’il y a beaucoup à rabattre. Il vit à la promenade sur la plage, une jeune fille, une beauté germaine, aux yeux de myosotis et aux cheveux blonds, au regard étonné et limpide. Elle lui sembla devoir être compagne charmante. Elle était riche, il n’était pas pauvre.

Après s’être bien consulté, il alla à elle et lui demanda simplement sa main, pour le plus grand bonheur de tous deux.

La jeune fille lui répondit que la demande l’honorait, qu’elle avait plaisir à le voir. Elle ajouta non moins simplement qu’elle ne savait pas si ce qu’elle ressentait était de l’estime pour lui, ou une sympathie plus vive. Elle le priait en conséquence de venir chez sa mère, où ils essayeraient de se connaître mieux.


Paysanne de Dubbeln sur sa porte.

Le soir même l’heureux prétendant recevait une invitation à prendre le thé, et la jeune fille le présentait à sa mère. Il fut bienvenu et bien accueilli ; il se montrait sincèrement épris. On le considérait comme le fiancé. Ils allaient ensemble au bord de la mer, au soleil couchant, regarder les nuages, qui faisaient des châteaux dans l’air, et parler de leurs projets de bonheur.

Un soir, qu’ils avaient marché plus longtemps que de coutume, le soleil disparaissait dans sa gloire ; ils restaient dans le silence.

« Monsieur K…, dit la jeune fille de sa douce voix, qui croirait qu’il y a un mois que je vous ai vu pour la première fois ! Comme ce mois s’est écoulé ! J’ai voulu vous mieux connaître, mais maintenant je peux vous le dire, je le sens, je ne vous aimerai jamais. »

Le malheureux n’était qu’estimé. Il quitta, non pas la jeune fille, mais le pays, et comme il ne connaissait pas de remède à son mal, il alla se faire casser la tête dans le Caucase ou dans la Crimée. On me l’a du moins annoncé, et je désirerais fort avoir été trompé. Il méritait mieux, à coup sûr, que cette fin tragique.

Quant à la presque fiancée, elle s’est mariée depuis, avec un négociant plus blond qu’elle, qui l’a emmenée en Angleterre.

Je reviens à Riga. La latitude est à peu près celle de Moscou. Les écarts de la température sont cependant, grâce au voisinage de la mer, moindres qu’en cette dernière ville. Le climat n’est pas des plus sains. Si le froid ne descend jamais beaucoup au-dessous de vingt-cinq degrés du thermomètre de Réaumur, les changements sont fort brusques, et prennent souvent les habitants au dépourvu. La plupart des maladies sont des refroidissements auxquels les étrangers sont moins sujets peut-être que les personnes du pays. Ils sont seulement exposés à une certaine fièvre froide, qui se montre rarement, qui n’est point tout d’abord mortelle, mais à laquelle on ne sait d’autre remède que d’envoyer le malade sous un ciel plus doux, et de lui rendre l’air natal.

La ville n’est point défendue précisément par sa forteresse ni par ses remparts[1], qui n’ont point garanti l’un de ses faubourgs de brûler tout entier en 1812, sur l’ordre un peu pressé d’un gouverneur général. Si j’en crois les fanfaronnades russes, tout alla au mieux ; la reconstruction se fit sur un plan régulier. « C’était, me dit-on, l’année de la retirade de Moscou. Les Français étaient attendus. Le veilleur d’une tour signala des masses qui s’avançaient. On fit incendier, vu l’urgence ; les troupes étaient des troupeaux, et nous avons eu un plus beau faubourg. Si vous recommenciez, nous le rebâtirions magnifique. » — La vérité est que Riga arrêta, au dire des historiens, la fortune de Napoléon, et que son faubourg de Saint-Pétersbourg, moins peuplé que celui de Moscou, est mieux entretenu, habité qu’il est par une quantité de

  1. Riga est devenu une ville ouverte dont la défense est tout entière dans la forteresse et les batteries qui gardent l’embouchure de la Düna et plus encore dans le peu de profondeur du fleuve.