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Barque traînée sur les glaces de la Düna (voy. p. 120). — Dessin de d’Henriet.


VOYAGE DANS LES PROVINCES RUSSES DE LA BALTIQUE,

LIVONIE, ESTHONIE, COURLANDE,


PAR M. D’HENRIET.


1851-1854. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


I

Arrivée à Riga par mer : la douane et les douaniers. — Le port ; la ville ; premières impressions. — La population : les races. Allemands, Russes et Lettons. — Fiançailles et Mariages. — Armée. — Garnison.

Nous avions pris passage à Stettin, mon frère Louis et moi, sur le paquebot à vapeur la Düna, et après trois jours de mal de mer, nous étions arrivés au port de la Bolderaa, et à l’embouchure de la Düna ou Dwina du sud, la Dünamunde.

Les douaniers parurent un beau matin à nos yeux, en même temps que les côtes de la Russie. Des hommes vêtus d’un drap grossier, usé, râpé jusqu’à la corde, lustré et luisant de graisse, mais qui avait été vert sombre, glissèrent jusqu’à nous dans un canot de la même couleur. Leurs moustaches blondes se détachaient en clair sur leur visage. Ils avaient les lèvres épaisses et la physionomie plutôt rude que malveillante. Plusieurs tenaient entre leurs doigts des bâtons de cire rouge qu’ils pétrissaient en les humectant de leur salive. Deux individus habillés d’un drap plus fin siégeaient à l’arrière sur des tapis rouges. C’étaient des employés supérieurs.

Ils montèrent sur le paquebot. Tous les voyageurs furent appelés successivement en leur présence. J’allai à mon tour subir une sorte d’interrogatoire. — Quels étaient mes motifs pour entrer dans l’Empire ? — N’en avais-je pas d’autres que ceux que j’énonçais ? — Quelles personnes connaissais-je en Russie ? — Avais-je des journaux ? — Avais-je des lettres de recommandation ?

Le commandant du paquebot nous avait, je puis le dire[1], fait notre leçon. Il nous avait offert de garder dans un endroit réservé les objets suspects, armes, lettres, journaux, journaux surtout. « Je vous les ferai passer, avait-il dit, par les douaniers. »

Je fus remis aux mains des subalternes, gens besogneux qui mendieraient une piécette, s’ils n’avaient honnêtement la peur d’avoir affaire à quelque Excellence voyageant incognito. Celui auquel on me livra avait un nez épaté, épais et rouge, qui indiquait où aurait passé ma pièce d’argent. Il me fit signe de montrer l’or que j’avais, le fit sonner et resonner sur une table, pour s’assurer que je n’introduisais pas de la fausse monnaie. Tel est l’usage. Il visita mes effets, mit de côté les papiers imprimés, qui devaient aller à la censure, posa sur le reste des bagages son énorme sceau, me palpa de la cheville jusqu’à la gorge, s’assurant que je n’avais point de papiers sur moi. Puis après m’avoir fait demander par un interprète, que je ne compris

  1. Il est mort depuis des suites du mal de mer.