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santerie, traite d’infidèle un vrai croyant, est lui-même un infidèle[1]. » Donnez-moi plutôt quelque chose en échange de ma fatiha, pour que je puisse continuer mon voyage. »

« Le sérieux de ma physionomie, ajoute M. Vambéry, et ce hadis dont je venais de le régaler, déconcertèrent complétement le jeune prince ; il se rassit à moitié confus, et, s’excusant sur la ressemblance de mes traits avec ceux de tels ou tels Européens qu’il avait connus, il ajouta que jamais un Hadji venant de Bokhara ne lui était apparu avec un visage comme le mien. »

Le 15 novembre 1863 M. Vambéry quitta Hérat avec une grande caravane qui se dirigeait vers Meshed[2].

Douze jours après, à Meshed, il dépouilla enfin son costume de derviche. Le 26 décembre il se mit en route pour Téhéran, en compagnie seulement de son ami le molhah qui ne savait trop que dire de cette transformation.

« Nous étions tous deux bien montés sur des chevaux qui m’appartenaient, dit M. Vambéry, et pourvus également à mes frais de tout ce qui nous était nécessaire pour la route en fait de literie ou d’objets de ménage ; aussi, bien que j’eusse à fournir vingt-quatre étapes au milieu de l’hiver, j’entrepris avec un vif plaisir cette rude traversée où chaque pas me rapprochait de mon Occident bien-aimé. »


Le retour. — Sur la route de Téhéran. — Dessin de Émile Bayard d’après Vambéry.

À Téhéran, il ne fut pas moins bien reçu par les Anglais que par les Turcs. Le roi de Perse lui accorda, comme témoignage de faveur spéciale, l’ordre du Lion et du Soleil.

De Téhéran M. Vambéry se rendit à Trébizonde en passant par Tabriz, et de là, enfin, à Londres, où il arriva le 9 juin 1864.

« La puissance de l’habitude, dit-il, en terminant, est véritablement merveilleuse. Bien que je fusse arrivé pas à pas et graduellement du maximum de la civilisation européenne au minimum de la civilisation orientale, toutes choses dans mon nouveau séjour semblaient m’apparaître pour la première fois comme si mes notions antérieures de la vie qu’on mène chez nous étaient passées à l’état de rêve, et comme si ma transformation asiatique eût gardé seule quelque réalité. Il m’est resté de mes courses nomades une impression puissante et durable. Faut-il donc s’étonner si de temps à autre dans Regent Street ou dans les salons de l’aristocratie britannique on me voyait m’abstraire dans mes pensées, ne songeant plus qu’aux déserts de l’Asie centrale, aux tentes des Kirghis et des Turkomans. »

(Note du rédacteur.)
  1. Sentence traditionnelle du Prophète.
  2. Voyez la description de Meshed, par M. de Khanikoff, dans notre volume du 2e semestre de l’année 1861, p. 269.