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La Khala de Mintahouès. — Dessin de Eug. Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.


VOYAGE AU TAKA

(HAUTE-NUBIE),


PAR M. GUILLAUME LEJEAN.
1864. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


I


Route de Saouakin à Kassala. — La Khala.Fillik. — Un consul mort et ressuscité. — Mallem Ghirghis. — Alla ranca. — « Un gentilhomme, je comprends ; mais un Français ! » — Le chekh des Hadenda : politique égyptienne. — Une femme de bon conseil. — L’honneur du drapeau égyptien.

Nos lecteurs n’ont peut-être pas oublié les esquisses que j’ai tracées, il y a plus de quatre ans, du désert nubien que je venais de traverser en diagonale, de Saouakin à Kassala. Une mission officielle me ramenait cette année dans la même région et me permettait de renouer connaissance avec cette Afrique terrible et enchantée que l’on ne parvient jamais à oublier et dont le souvenir me donne parfois, jusqu’en France, jusque dans Paris, de longues heures de nostalgie. Mon premier récit, écrit à une époque ou l’Afrique m’était moins familière qu’aujourd’hui, offre bien des lacunes que je tenais à combler : c’est le motif qui me ramenait, le 16 février 1864, sur cette même route de Saouakin à Kassala que j’avais hâtivement étudiée en 1860. Je reprends donc cet itinéraire au point où cesse la partie circonstanciée du premier récit, c’est-à-dire à cinq journées avant Kassala, à l’endroit où la route, après avoir coupé perpendiculairement le joli vallon d’Omlé, quitte définitivement le massif rugueux des monts Langheb. Cet endroit se nomme Togoy : j’ignore la signification de ce nom dans la langue bidja (troglodytique). En général, les aiguales nubiennes ont des noms bizarres auxquels se rattachent quelques traditions. Des deux puits avant Togoy, l’un se nomme Fils du blanc, bois ! l’autre, Le fils du noir tout court. « Voyez-vous, monsieur, me disait l’Africain qui me traduisait ce nom, le pauvre fils du noir n’est pas invité à boire, comme l’autre : le noir n’a jamais eu de chance !… »

À Togoy, je m’arrêtai un instant pour esquisser rapidement le terrain qui n’entourait, et jouir d’un coup d’œil que je ne devais plus retrouver de bien longtemps. Le cirque de Togoy marque, en effet, la transition des montagnes nues et brûlées de l’orba-Langheb à la plaine dont le Gach forme la blanche artère. La vulgarité monotone des collines de grès et de schiste, nues, rousses, généralement orientées N. E. S. O., courant à travers de petites plaines de graviers semées de laids mimosas et où le granit perce de loin en loin, est rachetée par les lignes fières et aiguës des chaînes de montagnes qui montrent à l’est et au sud leurs arêtes veinées de petits torrents et émergeant du milieu