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pour tels ; j’écoute modestement en homme désireux de s’instruire et de se former une opinion d’après l’avis des gens sages et compétents. L’un d’eux nie positivement l’existence du pont en cet endroit, et le place un peu plus bas sur le fleuve, vers le confluent de l’Olto, là où se voient encore des restes de fortifications romaines. Les autres tiennent pour l’opinion la plus accréditée, celle qui place le pont à Turnu-Severinu, et citent à l’appui les fouilles entreprises il y a quelques années et qui ont fait découvrir une quantité d’armes, de cuirasses et d’ustensiles de campagne qui se rapportent évidemment à l’expédition contre les Daces. C’est comme la contre-partie de la fameuse question d’Alesia, tant débattue chez nous. À Paris, je serais volontiers pour Alaise ; ici je penche du côté d’Alise. Je n’affirme rien cependant, bien qu’on m’ait assuré que le fleuve, à certains jours, montre à découvert les restes des piles de pierre qui jalonnaient son lit d’une rive à l’autre. L’eau est haute en ce moment, et la vérité est au fond, je n’irai pas l’y chercher. À mon retour cependant je verrai de plus près et je mesurerai ces ruines intéressantes.

C’est peu après avoir franchi les Portes de Fer que le Danube tourne et retourne sur lui-même en décrivant quatre demi-cercles avant de reprendre sa direction normale vers la mer Noire. Je prends à la hâte quelques vues de la rive serbe qui va devenir bientôt la rive bulgare ; car nous approchons du confluent du Timok, qui forme la limite de la Principauté et du pachalik de Vidine. Korbovo, où nous n’apercevons qu’un poste de gardes-frontières et la grande route qui serpente dans la direction de la montagne ; Radouïevatz, qui montre avec une sorte de complaisance son débarcadère assez animé et un groupe de jolies maisons. Radouïevatz est la dernière station des bateaux à vapeur sur la rive serbe, la première, par conséquent, quand on remonte le fleuve. C’est ici que le feu prince Miloch, lorsqu”il eut échangé dernièrement l’exil pour le trône (janvier 1859), posa le pied pour la première fois sur le sol de sa patrie, après une absence de vingt ans passés en grande partie dans ses domaines en Valachie. Le prince Miloch est mort le 26 septembre de l’année dernière, âgé de plus de quatre-vingts ans. Il était, suivant la juste remarque d’un contemporain, le dernier survivant de cette pléiade d’hommes extraordinaires, qui par leur énergie et par leurs excès mêmes ont jeté tant d’éclat sur l’histoire de l’Orient pendant la première moitié de ce siècle, Karageorge, Ali de Tébélen, Mahmoud, Méhémet-Ali, l’émir Béchir, le vladika Pierre Ier et les héros de la régénération de la Grèce.

Vue de Filordine. — Dessin de Lancelot.
Le Danube au pont de Trajan. — Dessin de Lancelot.

Filordine est une petite ville bulgare, agréablement située sur le double versant d’une colline et se prolongeant jusqu’au fleuve, où deux ou trois navires sont à