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des armes historiques et beaucoup de pièces d’orfévrerie curieuse : hanaps, aiguières, plats, bassins ; des bijoux, colliers, croix, agrafes, ceintures de goût byzantin, ornés de pierres précieuses et d’émaux d’une très-belle exécution. Je crois avoir entendu dire que Bude a été renommée pour la fabrication de ces objets.

Je remarque encore un grand nombre de ces sceptres de magnats qui pouvaient, être, une arme et en même temps un appui donnant à la démarche une grande noblesse : c’est la hache d’armes au manche allongé et aminci de façon à devenir une haute canne ; le fer est contourné du côté du tranchant, et la tête est devenue un marteau élégant ; le manche est en bois recouvert en grande partie de fer ciselé et doré.

Dernièrement, l’esprit de retour de la population vers tout ce qui lui rappelle son passé libre a produit des cannes imitées de celles-ci, et leur adoption unanime a fortement inquiété l’autorité. C’étaient, sous prétexte de tradition, de fort jolies haches d armes, et de mignons casse-têtes en acier, qui bien que polis, dorés, damasquinés, et simplement emmanchés d’un jonc flexible, pouvaient dans un certain moment jouer un accompagnement désagréable à certains chants. La police le comprit et voulut les interdire tout d’abord ; les Hongrois résistèrent, on disputa, puis des deux côtés on transigea, c’est-à-dire que les Hongrois cassèrent les cannes trop grandes sur le dos de la police qui permit le port des plus petites.

Gentilhomme campagnard. — Dessin de Lancelot.

En rappelant combien le musée de Pesth était pauvre en peintures, je n’ai point entendu parler de l’art contemporain. J’ai visité un grand nombre d’ateliers à Pesth. Parmi les artistes que j’ai connus, plusieurs font preuve d’individualité, de vigueur, d’un grand sentiment d’observation joint à une facilité et à une verve tout italiennes. Il y a plus que des promesses, et je crois à une école hongroise possible dans un avenir prochain.

Les jours m’avaient paru courts à Pesth. Je fus tout surpris quand je m’aperçus que j’avais entamé la troisième semaine de mon séjour dans cette charmante capitale. J’embrassai de grand cœur l’ami qui m’avait donné l’hospitalité, je baisai la main de sa digne femme. Lydie et Peppy, deux charmantes chambrières, baisèrent la mienne, ainsi que Mathias, le jardinier, et le cocher Cléophas ; ainsi le veut l’usage : et un matin à cinq heures je montai sur le bateau de Semlin, songeant à ces amis de trois semaines que je ne verrai peut-être plus, mais dont je me souviendrai toujours.


XXXV

DE PESTH À SEMLIN.


Paysages — Une ferme ; souvenir de Granville. — Une noce sur la grande route. — Le champ de bataille de Mohacz. — Pêcheries d’Apatin. — Embouchures de la drave et de la Theiss. — Neusatz. — Peterwardein. — Carlovitz et les serbes d’Autriche. Titel et le bataillon Tchaïkiste. — Approches de Semlin.

En quittant Pesth, nous tournons la montagne de Bude qui s’efface brusquement et découvre un dernier versant raviné, uni par une pente douce à la plaine. Le fleuve très-large se partage en deux bras qui comprennent l’île de Czepel. Nous suivons le bras occidental, en longeant à gauche l’île, si basse qu’on la dirait à fleur d’eau ; à droite sont des dunes de sable qui, à l’époque des grandes crues du fleuve, doivent se transformer en marécages. Sans doute une de ces inondations a eu lieu depuis peu, car une couche épaisse de limon recouvre encore les troncs des bouleaux et les souches tordues des saules, et de grandes herbes pendent à leurs branches. Nous dépassons de nombreuses barques de paysans riverains qui reviennent du marché de Pesth. Les hommes sont étendus