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sur la nationalité même du peuple qui l’habite, des divergences d’opinions entre lesquelles de bonnes observations sur place peuvent seules prononcer. Quelques savants n’ont voulu voir dans les Tibbous que de purs nègres ; d’autres y verraient plus volontiers une race mixte, mi-nègre, mi-berbère. Cette dernière vue, que pour mon compte je regarde comme la plus probable, a pour elle de puissantes raisons ; mais un siècle de controverses ne vaut pas un mois d’observation. M. Rohlf y est bien préparé. Deux voyages dans le Maroc et le Sahara marocain et algérien ont fait apprécier en lui des qualités précieuses chez un voyageur dans ces contrées africaines, la résolution, le sang-froid, le vif désir, comme chez Du Chaillu, de glorifier son nom par quelque belle et fructueuse entreprise ; et avec cela l’usage pratique de l’arabe au point d’avoir pu se faire passer pour musulman au milieu même des tribus si défiantes des oasis sahariennes, et un complet acclimatement sous le ciel du tropique. Ce sont de grandes chances de succès[1].


IX.


On le voit, l’avenir, un avenir prochain, est gros de promesses pour la géographie de l’Afrique. Je puis ajouter qu’un plan bien plus grand encore s’élabore et va bientôt se produire. Très-simple dans sa conception et offrant les plus grandes chances de succès que puisse avoir un voyage en Afrique, ce plan est tel que sans se confondre avec aucune des grandes explorations antérieures dans l’Afrique équatoriale ou tropicale, les explorations de Barth, de Livingstone, de Krapf et de Decken, de Burton et de Speke, de Heuglin et des dames Tinné, il aurait pour résultat de les relier toutes, et en les reliant de les compléter. Dans la pensée de celui de qui le plan émane, et qui l’a développé il y a quelques jours seulement au sein de la Société de géographie de Paris, un pareil voyage serait quelque chose de plus qu’une entreprise purement française, ou allemande, ou anglaise : ce serait une expédition vraiment européenne. Je ne puis entrer plus avant ici dans un pareil sujet ; mais il est destiné sans doute à recevoir bientôt une grande publicité.

Ainsi donc, tout annonce que la science aura, d’ici à peu d’années, à enregistrer des résultats aussi grands, plus grands peut-être et plus décisifs, qu’aucun de ceux dont elle s’est enrichie dans ce quartier du globe depuis vingt-cinq ans.

Les explorations africaines tiennent une grande place dans les préoccupations du monde géographique ; elles n’en sont pas cependant le seul objet. Un projet d’une nature bien différente a été mis en avant il y a quelques mois au sein de la Société de géographie de Londres, et y a été reçu avec une approbation universelle. Il ne s’agit de rien moins que d’une nouvelle expédition polaire. L’Angleterre a fait depuis longtemps de la région arctique son domaine à peu près exclusif ; et celui-là, s’il peut éveiller l’émulation, ne soulèvera ni jalousie ni récriminations, car il est tout scientifique. C’est là surtout que depuis quarante-cinq ans, depuis la première expédition du capitaine Parry, s’est déployé le beau côté du caractère anglais, — l’ardeur passionnée dans les entreprises propres à honorer le pays, et une persévérance inébranlable qui ne tient compte ni des difficultés, ni des périls, ni des sacrifices. Habilement développée par son auteur, le capitaine Sherard Osborne, et vivement appuyée, dans une longue et solennelle discussion, par les hommes les plus autorisés de la marine britannique, la proposition a été acclamée comme une dette d’honneur national. Il ne s’agit plus cette fois d’explorer péniblement tel ou tel passage à travers les îles et les glaces qui obstruent les mers arctiques ; il s’agit de pousser droit au pôle, sans se laisser détourner par les obstacles ou les craintes qui ont arrêté les précédentes expéditions, et, terre ou mer, d’y déployer le drapeau anglais.

Le but est bien défini ; la route à suivre peut seule offrir quelque incertitude. Le capitaine Osborne, avec sa vieille expérience dans la navigation de ces parages, s’en tient à la baie de Baffin et au détroit de Smith (Smith Sound), qui longe la côte occidentale du Groënland jusqu’au delà du quatre-vingtième parallèle ; mais un homme qui a fait depuis de longues années une étude spéciale de la question, le docteur Augustus Petermann (l’éminent directeur des Mittheilungen de Gotha), pense que la mer ouverte qui s’étend au-dessus du Spitzberg est une voie préférable. Il expose avec beaucoup de force ses vues à ce sujet dans deux lettres adressées à sir Roderick Murchison, président de la Société de Londres, et les appuie d’un savant mémoire sur la navigation et les courants des deux pôles[2]. Si l’on jette les yeux sur une carte de la région polaire, on voit que la route du Spitzberg s’élève tout droit au nord sans dévier du méridien de Londres. De la Tamise au pôle, l’intervalle est de 40 degrés, ou deux mille quatre cents milles marins, à peu près les deux tiers de la distance de Londres à Washington. Les deux plans contradictoires, le plan de l’officier de marine et celui du géographe, ont été débattus dans une des deux longues séances que la Société de géographie a consacrées à cette discussion scientifique. Chacun des deux plans a eu ses adhérents et ses adversaires, tous parmi les officiers les plus compétents, ce qui prouve qu’ils ont l’un et l’autre leurs avantages et leurs inconvénients. C’est à l’Amirauté à prononcer ; mais l’expédition peut être maintenant regardée comme à peu près certaine, quelle que soit la route préférée.


X


La politesse, à défaut d’autres raisons, nous aurait commandé de donner le pas aux étrangers ; mais avant

  1. Les Mittheilungen publient, en ce moment même, le journal du deuxième voyage de Rohlf au Maroc, et de son retour par le Tafilelt, le Touât, Insalah et Gh’adamès. Une carte de Hassenstein, admirablement étudiée, ajoute beaucoup à la valeur du journal.
  2. Mittheilungen, 1865, no 4.