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VII


Il se fait en Europe, au moment où nous traçons ces lignes, un travail actif pour reprendre l’œuvre d’exploration si heureusement ouverte par le capitaine Speke. L’Angleterre elle-même, représentée en ceci par les sommités de la Société de géographie, sir Roderick Murchison en tête, le champion longtemps le plus ardent de la découverte effective des sources du Nil par le capitaine Speke, l’Angleterre, aujourd’hui plus calme et d’un sens plus froid, convient franchement enfin que les découvertes du voyageur sont tout à fait en dehors de la question des sources du Nil ; et, sans aller jusqu’à dire, avec le capitaine Burton, que cette question, vingt-cinq fois séculaire, est plus embrouillée qu’avant le voyage de Speke, il faut pourtant reconnaître qu’en point de fait elle n’est guère plus avancée. Comme je l’ai dit, la route est ouverte ; c’est beaucoup, mais c’est tout.

Cette route ouverte, il s’agit de la reprendre et d’y rattacher de nouvelles et plus complètes explorations. Les esprits s’agitent dans cette direction. M. de Decken, qui a déjà fait deux ou trois voyages de reconnaissance depuis la côte du Zanguebar jusqu’aux montagnes neigeuses de Krapf et Rebmann, est parti d’Europe il y a six mois avec un bateau à vapeur de petites dimensions propre à remonter les rivières de la côte orientale d’Afrique, se proposant d’arriver encore une fois par cette voie au massif du Kilimandjaro et du Kénia, d’en compléter l’étude, et, s’il le peut, d’en contourner l’autre versant encore inexploré. À Londres, une souscription a été provoquée pour une expédition nouvelle, qui partirait de la côte opposée de l’Afrique australe, vers le Gabon ou le Zaïre, se porterait de là vers l’Est droit sur le grand lac central (le Tanganîka), reconnu par Burton et Speke dans le voyage qu’ils firent de compagnie en 1858, compléterait l’étude de cette grande nappe d’eau intérieure dont Burton n’a pu reconnaître (et encore incomplétement) que le côté oriental, et remonterait au nord vers la grande région des sources. C’était le plan favori de Speke depuis son retour en Europe, et nous le lui avons entendu développer avec amour lors de son passage à Paris. Enfin, Du Chaillu est retourné au Gabon au milieu de l’année dernière, ne projetant rien moins que de gagner le Nyassa de Speke en suivant à peu près la direction de l’équateur. Nous ne pouvons mieux faire connaître le plan de l’ardent voyageur qu’en traduisant la lettre même qu’il a écrite à sir Roderick, lettre dont l’abandon et la simplicité, joints à un sincère accent d’enthousiasme, ont quelque chose de touchant. La lettre est datée de la rivière Fernand Vaz (un peu au sud du Gabon), le 20 août 1864 :

« Mes instruments scientifiques et mes chronomètres me sont arrivés à la fin du mois dernier, dit-il au président de la Société de Londres. Je ne puis vous exprimer combien je me suis senti heureux quand j’ai eu entre les mains cette boîte depuis si longtemps attendue. Je vous ai promis, dans ma dernière lettre, de vous dire quels sont mes projets. Je crains maintenant que vous ne me regardiez comme un visionnaire, quand vous saurez que ce que je me propose c’est de gagner l’intérieur, de suivre ou à peu près la ligne de l’équateur, et d’aller ainsi aussi loin que possible jusqu’à ce que je rencontre quelques-unes des rivières qui tombent dans le Nil, et alors de descendre le grand fleuve jusqu’à la Méditerranée. Je ne veux pas déprécier le moins du monde les travaux des capitaines Speke et Grant ; mais je pense que jusqu’à une grande distance à l’ouest des lacs et des rivières qu’ils ont vus il y en d’autres qui vont rejoindre le Nil. En fait, je ne crois pas qu’il y ait une rivière qu’on puisse appeler proprement la source du Nil, mais bien un certain nombre de rivières et de lacs dont l’origine est aux environs de l’équateur, et qui vont former ce que nous appelons le Nil. Avant de quitter l’Angleterre, je voulais seulement essayer d’atteindre jusqu’à sept ou huit cents milles dans l’intérieur, et m’installer pour un temps au milieu des indigènes ; mais actuellement je suis décidé à pousser en avant jusqu’à ce que des obstacles se présentent qui m’empêchent d’aller plus loin, et alors de me régler sur les circonstances. C’est une grande entreprise, et je ne me dissimule pas les dangers qui doivent accompagner une pareille expédition. Je sais très-bien qu’il se peut que je n’en revienne pas, ou que les forces physiques me manquent pour achever ce à quoi j’aspire. Mon destin peut bien être de mourir à la peine, pauvre voyageur isolé ; mais je ferai de mon mieux, et je ne vois pas de déshonneur à échouer. Je sais, et vous savez aussi, monsieur, que je n’ai qu’un but, agrandir notre connaissance de cette partie inconnue de l’Afrique. Je vais être obligé de prendre avec moi une centaine d’hommes, et je pars dans quelques jours… »


VIII


Une pareille résolution mérite toutes nos sympathies ; et si elle est poursuivie, comme je n’en veux pas douter, avec l’énergie que cette lettre annonce, elle peut conduire à des résultats importants. Il en faut dire autant du projet de voyage au Tanganîka par l’ouest. Il y a là, entre le Gabon et le grand lac, une vaste région et un grand système d’eaux absolument inconnus (celui de l’Ogobaï), dont l’exploration serait une acquisition bien désirable pour la carte d’Afrique. Il en faut dire autant encore du plan que s’est tracé M. de Decken pour l’étude complète du massif des montagnes neigeuses de l’est, et de l’idée d’une nouvelle expédition à l’intérieur de l’Afrique australe par le sud-est, pour la reconnaissance d’une autre lacune de deux cents lieues qui reste entre le sud du Tanganîka, relevé en 1858 par Burton, et le Nyassa du Mozambique, cet autre grand lac intérieur étudié à deux reprises par l’intelligent et courageux Livingstone.

Le docteur Livingstone a depuis vingt-cinq ans consacré sa vie aux explorations de l’Afrique méridionale, et nul n’aura fait plus que lui pour étendre les notions