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mières sur l’ancienne histoire et sur la géographie de l’Arabie méridionale. Et puis enfin, le peuple arabe nous touche maintenant de près ; et quand nous étudions à son foyer les antiquités ou les mœurs de la race, nous apprenons à mieux connaître une nation dont près de deux millions sont aujourd’hui les sujets de la France.


V


Si des contrées centrales, où nous ont conduits MM. Wetzstein, Palgrave et Guarmani, nous nous portons au sud-ouest vers le pays des parfums que les Anciens saluèrent du nom d’Arabie Heureuse ; si nous franchissons le détroit, large de quelques lieues, qui sépare ici la pointe extrême de l’Arabie de la côte d’Afrique, nous touchons à la terre que depuis quinze ans ont sillonnée tant de grandes explorations, vingt noms illustrés par ces glorieuses entreprises se pressent ici dans nos souvenirs : Barth et Vogel, Livingstone, Richard Burton, Speke, de Heuglin, Antoine d’Abbadie, explorateurs intrépides à qui la géographie africaine a dû de nos jours ses conquêtes les plus glorieuses ; Krapf et Rebmann, qui ont les premiers signalé, presque sous l’équateur, l’existence des grandes montagnes neigeuses de Kénia et de Kilimandjaro ; le baron de Decken, qui a confirmé leur témoignage, et confondu le scepticisme intrépide des contradicteurs de cabinet ; Du Chaillu, l’aventureux pionnier du pays des Gorilles ; Werne, Hartmann, Baker, Lejean, Petherick, Munzinger, qui ont tant ajouté à notre connaissance du haut bassin du Nil et de la Nubie supérieure ; et l’héroïne de cette région redoutable, miss Alexandrina Tinné, qui n’a pas craint d’affronter, dans son ardeur pour la science et les choses inconnues, les mille dangers qu’y présentent à chaque pas le ciel, la terre et les hommes[1]. M. de Heuglin, un des survivants de cette expédition fatale, vient d’en donner la relation d’après ses notes personnelles ; elle remplit tout un épais cahier du précieux recueil géographique qui se publie à Gotha sous le titre de Mittheilungen[2], recueil qui rend à la science, sous la direction savante de M. Augustus Petermann, d’inappréciables services. Les Mittheilungen n’ont qu’un défaut, bien grand il est vrai pour l’immense majorité des lecteurs français, c’est d’être écrites en allemand ; encore peut-on dire que les excellentes cartes, toutes originales, qui les accompagnent en grand nombre, sont tout aussi bien françaises ou anglaises qu’allemandes, — une carte est de toutes les langues, — et qu’elles en font un recueil européen dans la plus réelle acception du mot. Ainsi, tous ceux que les choses géographiques intéressent verront avec un plaisir extrême la grande et belle carte jointe à la relation de M. de Heuglin, et qui agrandit ou modifie notablement les données antérieures[3]. On me pardonnera cette parenthèse ; je ne puis passer à côté de telles publications, qui sont des œuvres tout à la fois de savoir et de conscience, sans les saluer du plus profond du cœur.


VI


J’ai prononcé le nom de Speke. Je n’ai pas, après six mois d’intervalle, à annoncer le triste et vulgaire accident (un accident de chasse, personne ne l’ignore sans doute), où le courageux voyageur est venu, jeune encore, trouver la mort au milieu de sa patrie, après avoir échappé à tous les dangers de son hasardeux voyage ; mais nous devons un hommage à sa mémoire. Ceux de mes lecteurs qui veulent bien suivre les rapides aperçus de ces Revues semestrielles savent quelle a été l’appréciation qu’à mes risques et périls j’ai donnée, dès la première heure, sur les découvertes du capitaine Speke et leur portée réelle ; je n’y insisterai pas. On me permettra seulement, sur un sujet qui en ce moment encore préoccupe vivement l’attention du monde géographique, particulièrement en Angleterre, de répéter ici quelques mots que j’ai prononcés ailleurs :

« Si l’exaltation du triomphe bien naturelle en une heure d’enthousiasme, si les ovations que l’Angleterre lui a décernées n’ont pas été tout à fait justifiées par l’étendue de ses observations et la nature de sa relation ; si Speke, en un mot, n’a pas « découvert les sources du Nil, » comme ses amis et lui-même l’ont proclamé un peu trop complaisamment, il n’en a pas moins accompli, lui le premier, un des plus mémorables voyages dont se glorifiera notre époque. Ce qu’il n’a pas fait et n’a pu faire est devenu, grâce à lui, une entreprise comparativement facile. L’impartialité historique, qui donne à tout, hommes et choses, sa véritable place, ne fera de Speke ni un Humboldt ni un Burckardt ; mais elle n’attachera pas moins à son nom une renommée désormais impérissable, à côté des plus grands et des plus beaux noms dont s’honore l’histoire contemporaine des découvertes géographiques. »

La traduction française de la relation de Speke, parue depuis quelques mois[4], a mis chez nous cette grande page d’histoire géographique entre les mains de quiconque tient à suivre les progrès de la science du globe. Due à une plume facile, et sobrement émondée en quelques parties où l’exubérance des détails nuit, dans l’original, à l’ensemble du récit, cette édition française contribuera puissamment à étendre la popularité déjà acquise au nom du voyageur.

Relever quelques assertions hasardées et redresser de palpables exagérations, ce n’est pas diminuer, c’est épurer et agrandir la gloire de l’explorateur, en la dégageant des assertions irréfléchies du premier enthousiasme.

  1. Voir notre Revue précédente.
  2. Ergänzungsheft, no 15, janvier 1865.
  3. Elle a été construite par M. Hassenstein d’après le journal et les observations du voyageur, et elle est accompagnée, comme toutes les cartes de M. Hassenstein, d’un très-bon et très-savant mémoire analytique.
  4. Un volume grand in-8o illustré (Hachette). Voyez aussi le tome X du Tour du Monde (2e  semestre. 1864)