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dherbe, l’actif gouverneur de notre colonie sénégalaise, de reconnaître les oasis maures situées entre le Sénégal et le Maroc ; depuis que les parties qui avoisinent au sud nos trois provinces algériennes ont été parcourues par nos colonnes ou étudiées par nos ingénieurs, et qu’Henri Duveyrier les a sillonnées de ses belles explorations ; depuis ce remarquable ensemble, disons-nous, de voyages et d’études locales, la carte du Sahara s’est transformée. Les plaines de sable en occupent toujours d’immenses étendues ; c’est toujours « le pays de la soif, » selon l’énergique expression du pasteur arabe : mais ce n’est plus ce désert d’une nudité monotone que nous nous étions toujours figuré. Il y a des cantons montagneux qui sont de véritables Suisses, hérissées de montagnes neigeuses, coupées de vallées verdoyantes, remplies de sources vives et d’eaux courantes, pleines, en un mot, de fraîcheur et de vie ; et en dehors même de ces oasis privilégiées, le désert proprement dit qui les entoure est lui-même sillonné d’une multitude de vallées sèches qui révèlent la présence de l’eau à certaines époques, et dont quelques-uns sont d’une immense étendue, — l’Ighargh’ar, par exemple, dont le lit, que les pluies remplissent par fois à pleins bords, se déploie sur une étendue de trois cents lieues et plus à travers le pays des Touâreg, au sud de notre province de Constantine.

Les renseignements indigènes recueillis par le docteur Wetzstein nous apportent pour la première fois des informations analogues sur le centre de l’Arabie. Ces informations n’ont pas seulement sur beaucoup de points le mérite de la nouveauté absolue ; elles relient entre eux, et nous montrent souvent dans leur signification inaperçue, nombre de faits de détail dont on n’avait pas jusqu’à présent compris l’importance faute d’en avoir connu la liaison. Ainsi nous voyons apparaître pour la première fois — une véritable révélation ! — un immense ouâdi, qu’on pourra nommer le fleuve de l’Arabie, dont le lit tantôt à sec, tantôt rempli d’eaux rapides et profondes, coupe la péninsule du sud au nord depuis le cœur du Yémen jusqu’aux approches de l’Euphrate inférieur, sur une étendue de quatorze ou quinze degrés à vol d’oiseau, trois à quatre cents lieues ! Tous les courants, continus ou temporaires, qui sortent de la grande chaîne côtière de l’ouest de l’Arabie, depuis les environs de la Mekke, vers la 22e parallèle, jusque vers Sana’a, capitale du Yémèn, par 16 ou 17 degrés de latitude, appartiennent à cette grande artère centrale dont ils forment la tête. Je ne puis que signaler ce nouveau fait géographique, destiné peut-être, par lui-même et par ses conséquences, à prendre rang parmi les découvertes les plus considérables de notre temps.

Si cet immense ouâdi se trouvait être le Phison, un des quatre fleuves, ou plutôt une des quatre branches du grand fleuve de l’Éden cité par la Genèse dans sa description du Paradis terrestre, ne serait-ce pas aussi une découverte considérable pour la géographie biblique ? C’est là un thème que je n’ai certes pas à développer ici, mais qui pourrait dès à présent, je puis l’affirmer, s’appuyer de très-fortes raisons, — j’entends de raisons puisées seulement dans le domaine de l’histoire et de la géographie positive.


IV


L’Arabie est un de ces pays dont on ne peut parler avec indifférence ; le nom seul éveille en nous je ne sais quel frémissement de curiosité et de vif intérêt. Avec ses immenses et impénétrables déserts, avec ses populations presque entièrement vouées à la vie nomade, avec ses côtes d’un abord difficile, où ne débouche aucun de ces grands fleuves qui appellent le commerce et ouvrent l’accès des contrées intérieures, cette vaste péninsule semblait destinée par la nature même à rester isolée du commerce des hommes, comme elle est isolée du reste de l’Asie. Et cependant elle n’est pas seulement entrée dans le cercle de l’histoire : elle a exercé une action puissante sur la marche de la civilisation et sur les destinées de l’humanité. Berceau de la religion de Mahomet, qui développa si rapidement les instincts de prosélytisme et de conquête au sein des tribus israélites, c’est de là que sortit, au septième siècle de notre ère, le flot armé qui envahit la moitié de l’ancien monde. On sait à quel point se manifestèrent bientôt, dans les centres divers du khalifat, les merveilleuses aptitudes de la race. Toutes les cités ou régnèrent les khalifes sont en dehors des limites de la péninsule ; mais l’éclat dont brillèrent, au temps de la grandeur musulmane, Bassora, Bagdad, Samarkand, Cordoue, Séville et Grenade, noms magiques qu’entoure la multiple auréole de la puissance politique, des féeries du luxe, de la prospérité des arts, du progrès des sciences et de la culture des lettres, cet éclat, qui appartient au nom arabe, a rejailli sur l’Arabie. Au nom de l’Arabie, notre esprit associe volontiers le souvenir de ces inépuisables récits où s’est déployée toute l’exubérance de l’imagination orientale.

Si éloignée que la réalité soit de ces tableaux et de leurs prestiges, malgré ses déserts, malgré son climat de feu, malgré ses tribus plus cupides encore et plus fanatiques qu’hospitalières, l’Arabie a cependant aussi ses séductions pour l’historien et pour le voyageur. Elle a les séductions d’une vaste région imparfaitement connue, dont l’exploration européenne n’a guère entamé jusqu’à présent que les contours, et quelques lignes encore trop rares de ses parties intérieures ; pour l’historien et pour l’ethnologue, elle a le puissant intérêt d’une noble race dont les origines se rattachent, par le livre de Moïse, aux premiers âges du monde, et qui compte parmi ses rameaux antiques les deux puissantes républiques commerciales de Tyr et de Carthage ; elle a pour le savant l’attrait de sa géographie classique, dont la riche nomenclature fournit à la critique de nombreux problèmes d’une solution difficile, et aussi plus d’une question importante de géographie biblique et d’ethnographie ; elle a enfin le mystère de ses vieilles inscriptions, destinées sûrement, quand elles seront complétement déchiffrées, à jeter de grandes lu-