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Jérusalem. MM. Lartet et Vignes, les deux observateurs de l’expédition de M. le duc de Luynes, ont trouvé pour la dépression de la mer Morte trois cent quatre-vingt-douze mètres (neuf mètres de moins que le chiffre du lieutenant Lynch en 1848), et pour l’altitude de Jérusalem au-dessus de la Méditerranée sept cent soixante-dix-neuf mètres. Ces chiffres ont été donnés, il est vrai, par les indications du baromètre, mais au moyen d’observations simultanées prises dans les meilleures conditions. On nous apprend qu’un ingénieur allemand, quelques mois après le passage de M. de Luynes, a fait le nivellement par stations entre Jaffa et la ville sainte, et que son chiffre final a été pour Jérusalem une altitude de sept cent soixante-quatorze mètres, chiffre à peu de chose près identique, comme on voit, à celui de M. Lartet. Il ne faut pas nous plaindre, au surplus, de cette ardeur d’émulation dans l’étude d’une contrée à laquelle se rattachent de si grands souvenirs ; en fait de recherches scientifiques, comme en bien d’autres choses, il faut un peu le superflu pour avoir le nécessaire.


II


Il est une contrée, qui touche à la Syrie, où de longtemps on n’aura à se plaindre d’un superflu d’explorations : c’est l’Arabie ; les déserts qui l’entourent, non moins que l’immensité de son étendue et les dispositions médiocrement sympathiques de ses tribus, ne la défendent que trop contre les curiosités indiscrètes. Depuis quelques années, cependant, il s’est fait là aussi de remarquables percées. Le consul de Prusse à Damas, le docteur Wetzstein, savant déjà connu par de fructueuses explorations de cette curieuse partie de la Syrie orientale qu’on appelle le Haourân, a recueilli de nombreux renseignements sur l’Arabie centrale, des notices, des itinéraires, etc., de la bouche de différents cheïkhs et de conducteurs de caravanes, et il envoie ces documents au journal géographique de Berlin[1], en les accompagnant de commentaires tirés d’auteurs arabes en partie inédits ; c’est une précieuse addition à la topographie de l’intérieur de la péninsule. Un Italien de Livourne, M. Guarmani, qui remplit à Jérusalem les fonctions de directeur des postes au nom de la France, a fait, dans les premiers mois de 1864, un voyage au pays de Chomèr, dans la contrée des Ouâhabites, et il a envoyé son journal à la Société de géographie de Paris, qui le fait traduire pour le publier. L’objet spécial de M. Guarmani était l’acquisition de chevaux de race dans le pays où ils sont particulièrement renommés ; mais sans être ce que l’on nomme un voyageur savant, un explorateur, on peut recueillir de très-bonnes notions sur une contrée peu connue, sur la physionomie du pays, sur les localités visitées, sur la nature et la direction des chemins, sur les populations et leurs habitudes, et c’est en effet par cette nature d’informations que se distinguent les notes, d’ailleurs étendues, du voyageur italien. Le célèbre Moorcroft, à qui l’Europe doit une des meilleures relations qu’elle possède sur les contrées alpestres qui confinent au nord-ouest de l’Inde, n’était aussi qu’un médecin vétérinaire, directeur des haras de la Compagnie des Indes.

Enfin, une troisième relation, plus importante encore que les deux précédentes (du moins dans le rapport des informations ethnographiques), celle de M. Gifford Palgrave, est au moment d’être mise au jour par une maison de Londres. Elle sera accompagnée d’une carte de M. Henri Kiepert, le savant géographe de Berlin. M. Palgrave est le second Européen qui aura accompli d’une mer à l’autre la traversée de l’Arabie centrale ; le premier est le capitaine Sadlier, de l’armée britannique de l’Inde, qui, en 1819, a coupé la péninsule depuis el-Katîf, sur le golfe Persique, jusqu’à Yambo sur la mer Rouge, mais dans des conditions d’observation et d’étude infiniment moins favorables que celles de M. Palgrave. Un séjour de plusieurs années à Damas avait donné à celui-ci un parfait usage pratique de la langue arabe, chose d’une si grande importance. Poussé par la seule curiosité scientifique, il a voyagé sous les dehors non d’un musulman, supercherie toujours hasardeuse pour un Européen, mais d’un Arabe chrétien de Syrie. Il a traversé ainsi toute la péninsule arabe du nord-ouest au sud-est, depuis Gaza, sur la Méditerranée, jusqu’à Maskât sur la mer d’Oman, étudiant le pays, observant les tribus, faisant surtout un long séjour dans le Nedjed, qui est le pays central des Ouâhabites, et recueillant sur ce peuple singulier des informations aussi neuves que curieuses. Je n’insiste pas davantage sur ce remarquable voyage que je ne connais encore que par les communications verbales de M. Palgrave, mais dont la relation complète est, je l’ai dit, au moment de voir le jour.


III


J’ai dit que par son importance la relation de M. Palgrave peut être mise au premier rang des précieux documents qui nous ouvrent en ce moment des horizons tout nouveaux sur l’intérieur de l’Arabie ; à ne considérer que le côté physique, je ne sais si la prééminence ne pourrait pas être donnée aux communications du docteur Wetzstein. Nous n’en avons encore que les deux premiers fragments, et déjà il y a là des faits absolument nouveaux, qui ne vont à rien moins qu’à changer toutes les idées reçues sur la nature et la configuration de l’Arabie centrale. C’est quelque chose de tout à fait analogue à ce qui est survenu depuis quinze ans pour la géographie du Sahara. Il y a quinze ans à peine, le Sahara n’était pour nous qu’une expansion indéfinie de plaines arides, de sables mobiles soulevés et balayés par les vents, la terreur des caravanes et souvent leur tombeau. Depuis que nos voyageurs ont vu de près ces terribles solitudes ; depuis que Bartb, le grand explorateur, en a coupé du nord au sud la partie centrale, que des officiers intelligents ont été chargés par le colonel Fai-

  1. Zeitschrift für allgemeine Erdkunde. La 1re partie des communications du Dr Wetzstein est au no 139 (janvier), la 2e partie au no 142 (avril).