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lui revient que la plus infime part, celle que forme son salaire quotidien, à peine de quoi satisfaire à ses besoins les plus pressants. L’autre, le marin, travaille aussi la plupart du temps pour enrichir ses supérieurs. De toutes ces riches cargaisons qu’il porte, de tous ces gros bénéfices réalisés sur le fret du voyage, presque rien n’est pour lui : il a sa paye, et voilà tout. Pêcheur, il n’est guère plus heureux. Le bateau ne lui appartient pas, où il le doit presqu’en entier, ce qui souvent est pire, car il faut payer de gros intérêts qui le ruinent. Si la pêche n’est pas heureuse, il faut rentrer à la maison les mains vides et nourrir tout de même la famille, qui attend après le gain du père. Le mineur, le marin, le pêcheur, concourent tous également au bien-être des classes riches. Honorons ces courageux artisans, élevons-les jusqu’à nous. Ils travaillent, ils souffrent sans se plaindre, et, pour toute une vie de privations et de fatigues, n’attendent pas la plus petite récompense ici-bas.

Quand on entre dans les maisons de ces marins et de ces pêcheurs du Cornouailles, on est tout heureux d’y trouver comme un air de calme et je dirai presque de bien-être, qui contraste avec la vie du bord. Aussi bien, ces braves enfants du Cornouailles sont tous de souche antique, s’il faut en croire leurs récits.

Un jour que la princesse Zénobie, qui régnait sur Tyr et Sidon, était venue charger à Ictis l’étain du Cornouailles, une tempête s’éleva comme on en voit si souvent sur ces côtes. Le bateau était sur le point de sombrer ; les matelots se jetèrent à l’eau, emportant la reine sur leurs épaules ; les courtisans, qui ne savaient pas nager, se noyèrent misérablement.

Arrivés au rivage, les marins bâtirent une petite cahute pour la reine, et un jeune noir, qui remplissait à bord les fonctions de mousse, éventa Zénobie avec une branche de bruyère.

Le cap Cornouailles. — Dessin de Durand-Brager.

Les matelots qui étaient de braves gens, allaient tous les jours pêcher pour empêcher la reine de mourir de faim. Les plus beaux poissons étaient pour elle. Ils cueillaient même le long de la plage une mousse que la mer produisait alors en abondance et en préparaient, en la faisant bouillir dans l’eau, une gelée fort agréable.

Mais il n’est rien qui dure ici-bas. Les matelots finirent par se lasser de cette vie quelque peu monotone, et se répandirent dans le pays où chacun d’eux prit femme. Le page noir lui-même disparut. L’histoire ne dit pas ce qu’il advint de lui non plus que de Zénobie (l’histoire a des oublis de ce genre), mais ce que l’on sait fort bien, ce que la tradition a constaté, c’est que les pêcheurs et les marins actuels du Cornouailles descendent tous du mariage des matelots phéniciens avec les filles bretonnes du pays. Il n’y a pas à plaisanter là-dessus.

Tel est ce pittoresque comté du Cornouailles, aussi curieux à étudier sur les rivages que dans l’intérieur, sur mer comme sous terre. Après nous être promenés dans les mines de ce riche pays, il fallait bien en étudier aussi un côté de la vie maritime. On vient de voir qu’il y a plus d’un point de ressemblance entre le marin et le mineur. Les pêcheurs, du reste, qui mettent toutes leurs espérances dans le produit de leurs recherches sous-marines, ne peuvent-ils pas dire aussi comme les mineurs d’étain de Saint-Just : We seek hidden treasures, nous cherchons des trésors cachés ?

L. Simonin.