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milles à peine de Southampton, terme de notre voyage. À peine eûmes-nous le temps de saluer le Great-Eastern tristement ancré dans ces eaux, que déjà le signal réglementaire stop ! se faisait entendre et que notre steamer, heureusement arrivé au port, déroulait bruyamment la chaîne de ses ancres. All is well that ends well, « tout est bien qui finit bien », dit un passager du bord qui ne jurait que par Shaskspeare, mais que serait-il advenu de nous, si une rencontre eût eu lieu avec quelqu’un des navires toujours très-nombreux dans ces eaux, ou si, manquant le canal de la Manche, nous fussions allés butter, comme cela arrive souvent aux navires à voiles, contre les rochers à pic du cap Land’s end fort mal découpés pour le marin ? La brume est quelquefois plus dangereuse que le mauvais temps, au dire même des plus vieux loups de mer.

Le point le plus périlleux de toute la côte du Cornouailles est certainement le cap Lend’s end qui de tout temps, à cause de sa position même, a été fertile en naufrages. À Lennen, ce pauvre village de marins et de pêcheurs, le dernier lieu habité du Cornouailles, on n’entend que de tristes récits. Il est peu d’années qui se passent sans quelque catastrophe navrante. Lamentables sont tous ces naufrages, où les navires jetés contre les anfractuosités à pic de la côte, périssent le plus souvent sans espoir de secours. Il n’y a pas longtemps, un bâtiment qui venait de Newcastle perdit ainsi, dans une tourmente qui l’assaillit au cap Land’s end, tous ses hommes un à un, sans qu’on pût du rivage venir en aucune façon à leur aide. Il ne restait plus à bord que le capitaine et sa femme. On finit, après les plus longs efforts, par leur faire passer une corde ; mais ce fut une lutte entre eux deux à qui se la ceindrait le premier. Le capitaine consentit enfin à se lancer à l’eau et arriva au rivage tout meurtri. Sa femme, soit qu’elle eût mal noué la corde, soit crainte ou hésitation, se noya.

Une tempête au cap Land’s end. — Dessin de Durand-Brager.

Au milieu de tous ces dangers de l’Océan et dans cette lutte incessante avec les éléments s’est formée, sur toute la côte du Cornouailles, une rude population de marins et de pêcheurs, braves, aguerris, rompus à toutes les fatigues, vivant de rien, contents de leur sort.

Ce type du marin, peut être opposé à celui du mineur, et il est non moins curieux à étudier. On ne sait vraiment à qui donner la préférence. Tandis que le mineur lutte sous terre contre toutes sortes de périls, les éboulements, l’irruption des eaux, l’explosion imprévue des mines, le manque d’air respirable, la fatigue des longues échelles, le marin brave sur les eaux non moins de dangers incessants : la tempête, les vents déchaînés, la mer en courroux, les écueils. L’un, le mineur travaille le plus souvent pour enrichir autrui. De toutes ces richesses qu’il arrache aux entrailles du sol, il ne