Page:Le Tour du monde - 11.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

berne, aussitôt le life-boat est mis à l’eau et de courageux marins, montés sur le frêle esquif, vont porter secours aux naufragés. Plus ils en sauvent et plus ils rentrent contents au port. Partout sur la côte du Cornouailles, jusque dans les plus petits ports, existent des life-boats, à Fowey, à Falmouth, au cap Lizard, à Penzance, au cap Lend’s end, à Saint-Yves, à Hayle, à Padstow, à New-Quay. Tout le monde concourt à leur acquisition, souvent aussi c’est un cadeau du plus riche personnage du pays. Chacun se dispute l’honneur d’y monter dans les jours de péril. Les sauveteurs anglais ont pour le life-boat le même amour que les pompiers américains pour leurs machines hydrauliques. Ils le soignent, le caressent, le parent, lui cherchent le plus bel abri. Il n’y a que les pays de self-government où de pareils élans se rencontrent. Laissez le citoyen livré à lui-même, laissez-le agir librement, il saura bien se tirer d’affaire, que dis-je il fera merveille.

Le port de Hayle. — Dessin de Durand-Brager.

C’est surtout par les jours de brume que les côtes du Cornouailles, soit celles qui regardent la Manche, soit celles qui se tournent vers l’Atlantique, sont dangereuses pour le marin. Le péril se fait même sentir souvent bien avant sur l’Océan. En 1860, je revenais de Saint-Thomas dans les Antilles, sur le magnifique steamer anglais Shannon. Nous filions douze à quinze nœuds à l’heure et le navire emportait fièrement vers l’Europe une cargaison de huit cents passagers venus de tous les points des deux Amériques : les grandes et les petites Antilles, le Mexique, la Californie, le Pérou, le Chili, etc. Pendant les premiers jours de la traversée la navigation avait été des plus belles : mer calme, faible brise, ciel pur. On avait même pu reconnaître au loin, en passant, les Açores, dont un des pics volcaniques, le plus élevé, celui de Fayal, se montrait vaguement sur les eaux. En approchant des côtes de France l’atmosphère jusque-là limpide devint tout à coup si brumeuse qu’on y voyait à peine autour du navire. On sonnait la cloche à l’avant pour éviter la rencontre d’autres bateaux, et de moments en moments on jetait la sonde au fond de la mer. La composition du fond est très-régulière en ces endroits, elle varie avec la distance à la terre ferme et suivant qu’on ramène du sable, du sable et des coquilles, des coquilles et de la vase, on sait qu’on est plus ou moins rapproché des côtes. Pendant deux jours nous restâmes en cet état. Le navire, naturellement, avait fort ralenti sa marche. On entra dans la Manche comme on put, au flair pour ainsi dire. Les passagers, auxquels cette brume épaisse imposait un si long retard au moment même de l’arrivée, étaient inquiets, chagrins. On murmurait contre les éléments, contre le ciel lui-même ; quand tout à coup la nue se déchire, le voile disparaît : nous étions devant l’île de Wight, dans le chenal de Solent, à quelques