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Saltash annonce au voyageur qui arrive par terre le pays de Cornouailles, ainsi le phare d’Eddystone, établi en mer presque en face de Plymouth, indique au navigateur qu’il va passer des eaux qui baignent les rivages du comté de Devon dans celles qui s’étendent le long des côtes du Cornouailles.

Une ligne de rochers à fleur d’eau existe à douze milles de la côte d’Angleterre, entre le cap Start à l’est et le cap Lizard à l’ouest. Elle se profile sur une longueur de six cents pieds par le travers de la Manche, et arrête subitement les eaux qui viennent de l’Atlantique. Celles-ci forment autour de ce vaste écueil comme une espèce de remous, de tourbillon, eddy, ce qui a fait donner à ces brisants le nom d’Eddystone, ou les rocs du remous, sous lequel les marins les ont désignés de tout temps.

Sur l’un de ces écueils qui, à marée basse, élève un peu la tête au-dessus des eaux, un certain Henri Winstanley, homme doué d’un véritable génie pour les constructions mécaniques, essaya en 1696 d’établir un phare de bois. Il arriva à ses fins, et le phare avait cent pieds de haut ; il était muni d’un toit et d’une galerie à jour. Une tempête le détruisit de fond en comble en 1703, emportant du même coup l’édifice et le constructeur, occupé à des réparations, d’autres disent désireux d’éprouver son œuvre.

En 1706, un marchand de soie de Londres, John Budyerd, fit construire un nouveau phare plus solide, toujours en bois, mais porté sur des fondations de granit. C’était l’époque des guerres de Louis XIV avec l’Angleterre. Un corsaire français fit une descente à Eddystone et emmena prisonniers les ouvriers qui bâtissaient le phare. Le grand roi les fit délivrer, et fit mettre aux fers à leur place ceux qui les avaient pris, disant qu’il était en guerre avec l’Angleterre, mais non avec le genre humain. Il combla les ouvriers anglais de présents, et les renvoya dans leur patrie, ajoutant qu’ils rendaient un égal service à toutes les nations dont les navires traversaient la Manche.

Le phare de Longship, près le cap Land’s end. — Dessin de Durand-Brager.

Le phare, bâti aux frais de Rudyerd, brûla en 1755. Les gardiens épouvantés se réfugièrent dans une anfractuosité de la roche, où ils furent retrouvés cinq jours après quand l’incendie se fut éteint. Un des gardiens, du nom de Henry Hall, âgé de quatre-vingt-quatorze ans, traversant la flamme au moment du sinistre, avait senti du plomb fondu, coulant d’une gouttière embrasée, lui entrer dans la bouche. Il souffrit des douleurs atroces pendant douze jours, et les médecins, qui avaient refusé de croire à ses assertions, trouvèrent dans son estomac plus de sept onces de plomb fondu.

Eddystone ne pouvait rester sans phare et en 1757, le gouvernement anglais donna l’ordre au célèbre ingénieur Smeaton de rebâtir l’édifice deux fois disparu. En moins de deux ans, une tour ronde en pierre s’éleva pour durer jusqu’à aujourd’hui, et peut-être encore des siècles au-dessus des eaux courroucées. Smeaton a pris soin de nous laisser lui-même une description aussi clairement que modestement écrite de son beau travail. Le phare a quatre-vingt-six pieds de haut, vingt-sept pieds de diamètre à la base, et dix-neuf pieds au sommet. Je donne les chiffres en nombres ronds.

Les gardiens sont au nombre de trois ; jadis ils n’étaient que deux, mais un jour l’un des gardiens mourut, et le survivant dut, pendant plusieurs jours, rester auprès du cadavre de son compagnon, qu’il n’osa pas jeter à la mer de crainte d’être accusé d’homicide. Le mauvais temps empêchait d’ailleurs toute communication avec le rivage.

Chaque gardien reçoit de trois à cinq livres sterling par mois, plus les vivres. Inutile de dire que l’on n’engage pour ce rude et difficile métier que les hommes du caractère le plus sûr et le plus éprouvé. À tour de