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en a cinquante-deux. Il est en granit comme le roc sur lequel il repose, comme le cap Land’s end lui-même.

Aimez-vous le granit ? on en a mis partout.

Du phare de Longship on peut, quand le temps est beau et qu’il n’y a pas trop de brume sur la mer, presque toujours brumeuse en ces parages, apercevoir à l’horizon les îles Sorlingues ou Scilly, pour les appeler de leur nom anglais. Elles semblent se bercer sur l’océan comme des terres flottantes, et quelques géographes prétendent que ce sont les Cassitérides, ou îles d’étain des anciens.

Le cap Cornouailles, voisin du cap Land’s end, paraît lui donner la main comme un frère jumeau : on dirait qu’il lui dispute l’avancement sur l’Atlantique, et cherche à mériter le nom de Finistère, non content de celui de Cornouailles ou corne de Walles, qui, au demeurant, on peut le dire, a la même signification.

Le cap Cornouailles s’élève à deux cent trente pieds au-dessus du niveau de la mer. C’est dans son voisinage que sont les mines sous-marines de cuivre et d’étain que nous avons précédemment visitées, notamment celle de Botallach. La plus grande profondeur de cette mine est de mille cinquante pieds, et quelques-unes de ses galeries s’avancent jusqu’à douze cents pieds sous le lit de l’Océan. Les infiltrations d’eau marines sont considérables, et le bruit des galets roulés les uns sur les autres par les vagues profondes se reproduit quelquefois si terriblement jusque dans les galeries, que les mineurs, émus, épouvantés, abandonnent la place et s’enfuient en criant des chantiers.

À côté du cap Cornouailles, est la baie de Saint-Just, Saint-Just, la ville des mineurs d’étain, que nous voyons pour la seconde fois. Un phare, bâti sur le roc, s’élève au milieu de la rade, et ce feu, dans ce coin à peine fréquenté du rivage, prouve tout le soin que prennent les Anglais pour garantir aux navigateurs l’accès facile et sûr de leurs côtes.

Entrée de Falmouth. Dessin de Durand-Brager.

Continuons notre périple. Longeons ces rivages déchiquetés que la mer vient battre depuis des siècles, qu’elle ronge, qu’elle mine, qu’elle fouille à la base. Le granit vaincu cède enfin. Un amas de roches éboulées, informes, s’amoncelle en débris irréguliers et, réalisant l’image du poëte de Pélion entassé sur Ossa toujours battus par les vagues. Mais bientôt la plage s’abaisse et vient mourir à la mer en lignes moins austères ; elle s’arrondit même en une baie aux eaux paisibles. C’est là qu’est Saint-Yves, qui a été comparé à un village grec, puis Hayle séparée de sa voisine par des dunes de sable au ton ferrugineux, sur lesquelles s’est fixé un roseau marin, l’arundo arenaria, arrêtant par ses racines la marche des sables envahisseurs.

Parlerai-je des autres points qui, sur cette côte du Cornouailles, s’alignent sur l’Atlantique ? Citerai-je Sainte-Agnès, New-Quay, Padstow ? Non, car une plus longue série de descriptions maritimes fatiguerait peut-être. Cependant je ne puis oublier Boscastle et Tintagel. Ce sont pays de pieuses et naïves légendes, et la légende est une fleur devenue trop rare pour que le voyageur ne se baisse pas pour la cueillir et en faire jouir ses amis.

À Boscastle, donc, les habitants, il y a bien longtemps de cela, avaient prié leur seigneur, le sire de Bottreaux, quelque peu cousin du sire de Framboisy, de leur faire cadeau, pour leur église, d’une paire de cloches aussi grosses que celle de l’église voisine de Tintagel. Le sire de Bottreaux, heureux de trouver cette occasion d’être agréable à ses vassaux avec lesquels il avait, du reste, toujours vécu en fort bonne intelligence, avait commandé les cloches à un fondeur de Londres. Les cloches faites, on les chargea sur un navire pour les porter à Boscastle. À cette époque, comme bien on le pense, les chemins de fer n’existaient pas. Le navire porteur de sa précieuse cargaison était presque en vue de Boscastle, quand le pilote, qui était de Tintagel, voulut faire sonner aux cloches le carillon de son pays. C’était en signe d’actions de grâces à la Providence pour le voyage heureusement accompli. Le capitaine, qui n’était pas dévot, tant s’en faut, répondit que grâces de-