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Les Anglais font tout avec ordre et précision. Avant de nous conduire dans l’intérieur de sa mine, le capitaine, avec lequel nous étions partis de Saint-Just, et qui s’était fait notre complaisant cicerone, commença par nous faire revêtir le costume d’ordonnance : chemise, jaquette et pantalon de flanelle blanche, grosses bottes de cuir, chapeau de feutre noir, de forme basse et ronde, au tissu dur comme la pierre, avec une chandelle à la cime fichée dans un tampon d’argile. C’est le costume de rigueur, et le prince de Galles lui-même, quand il a visité les mines de son riche comté, les princes d’Orléans aussi quand ils ont parcouru les travaux souterrains autour de Saint-Just, ont revêtu comme nous la flanelle du mineur et coiffé le chapeau traditionnel.

Quand nous fûmes ainsi costumés, on nous demanda si nous voulions descendre par les échelles ou par le men engine[1].

« Capitaine, répondis je, quelle est la profondeur du puits ?

— Deux cents fathoms (environ quatre cents mètres).

— Fort bien, nous passerons par le men engine. »

Cette machine, que je ne puis mieux représenter que par une énorme perche oscillante, inclinée ou verticale, suivant que l’axe du puits est lui-même incliné ou vertical, est munie de distance en distance de taquets ou petits bancs sur lesquels on se tient debout appliqué contre la perche. Celle-ci règne, du reste, sur toute la longueur du puits reliée à son extrémité extérieure au balancier de la machine qui la commande.

Mine de la Providence : Le men engine et les échelles. — Dessin de Durand-Brager d’après M. Lançon.

Les men engines, véritables échelles mouvantes, ont été inventés pour épargner à l’ouvrier la fatigue journalière d’une descente et d’une montée par des échelles fixes de plusieurs centaines de mètres de longueur. Cet exercice, répété deux fois par jour, outre qu’il fait perdre aux ouvriers un temps précieux, ne tarde pas à produire chez la plupart d’entre eux, du moins après quelques années, des anémies qui les rendent impropres au travail et les conduisent peu à peu au tombeau. C’est donc autant dans un but d’utilité pratique que d’humanité que ces machines ont été inventées. Beaucoup sont d’une construction plus élégante que celle que je décris. Ainsi, en Belgique, on accouple deux machines. L’ouvrier passe successivement de l’une à l’autre ; les bancs larges, commodes, sont environnés d’une balustrade, et l’appareil se nomme waroquère, du nom de l’inventeur belge Waroqué. En Allemagne, où ces machines ont pris naissance dans les mines si profondes de la Saxe, on les appelle des farhkunst.

Voici maintenant comment fonctionne l’appareil. Un mouvement du balancier de la machine à vapeur fait descendre le men engine d’un mètre cinquante centimètres, je suppose. L’ouvrier, descendu en même temps que la perche, passe immédiatement sur un petit taquet appliqué contre la paroi du puits. Une seconde oscillation du balancier fait remonter la perche d’autant ; l’ouvrier passe aussitôt de son perchoir sur celui du men engine, sans hésiter, sans se troubler, et immédiatement le men engine s’abaisse de nouveau, et avec lui l’ouvrier qui recommence le même manége. Il faut conserver, je le répète, toute sa présence d’esprit, ne pas hésiter dans la manœuvre qu’on a à faire. Si le moindre trouble survient, on doit rester sur son perchoir dans le puits ou sur l’appareil, et attendre une nouvelle pulsation pour recommencer. Il y a, du reste, des perchoirs dans le puits de l’un et de l’autre côté du men engine ; de sorte que si l’on voit un des siéges occupé, on passe sur l’autre vis-à-vis. Enfin je ne dois pas oublier de dire que la machine, après chaque pulsation, s’arrête un temps très-court, il est vrai,

  1. Mot à mot : « la machine à hommes. »