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croquer. Ils portaient la chandelle au chapeau, et comme ils venaient des sombres abîmes, ils nous rappelaient involontairement les classiques cyclopes. Qui sait si les anciens, voyant les mineurs s’éclairer de la sorte dans les galeries souterraines, n’avaient pas imaginé là-dessus la fable des cyclopes portant un œil au milieu du front ? On croit aujourd’hui que la mythologie ancienne n’est guère qu’un tissu de fines allégories, et la fiction des cyclopes s’explique ainsi tout naturellement.

La mine de Wheal Margery occupe jusqu’à deux cents mineurs, j’allais dire deux cents cyclopes ; elle produit du cuivre et de l’étain, mais surtout du cuivre. La quantité totale de minerai extrait est d’environ cent tonnes (cent mille kilogrammes) par mois.

Comme toutes les mines en Cornouailles, Wheal Margery contient beaucoup d’eau, mais ici ce ne sont pas des roues hydrauliques, comme à Wheal Friendship, ce sont d’immenses pompes à vapeur, des pompes à feu, comme nous disions encore naguère en France, qui tirent l’eau des galeries. Ces machines d’épuisement, les géantes parmi les machines à vapeur comme forme et comme force, ont jusqu’à trois mètres de diamètre au cylindre et jusqu’à huit cents et mille chevaux de force. Elles battent cinq à six coups à la minute avec une régularité d’horloge, grâce à un mécanisme particulier fort ingénieux qu’on appelle la cataracte. La maîtresse tige, énorme pièce de charpente, descend le long du puits et commande les pistons des pompes. Elle est reliée à la tige du piston à vapeur, soit par un balancier, soit directement. Le balancier est préféré en Angleterre, où il a été employé dès le principe ; les machines à traction directe sont fort en usage en Belgique et en France depuis quelques années.

Laveur de minerai, à Spearn Moor. — Dessin de Durand-Brager.

À chaque coup de piston les pompes rejettent au dehors un véritable fleuve, jusqu’à mille et deux mille litres d’eau à la fois. Les machines, modèles d’ingénieuses dispositions, inscrivent d’elles-mêmes, par un mécanisme automatique, le nombre de coups de piston sur un compteur ad hoc ; enfin un grand concours est ouvert entre toutes les machines d’un même district, concours loyal et au grand jour. On proclame solennellement chaque mois quelle est la machine qui, pour un travail donné, par force de cheval-vapeur, par exemple, a consommé le moins de charbon. Le nom du constructeur est acclamé, et on comprend quel profit il en tire dans la construction de ses appareils. C’est à la faveur de toutes ces dispositions que, dans les machines d’épuisement du Cornouailles, on est descendu à moins d’un kilogramme de charbon brûlé par heure et par force de cheval, (La force d’un cheval-vapeur est ici celle qui est capable d’élever soixante-quinze litres d’eau à un mètre par seconde). Les machines ordinaires n’ont jamais pu, dans leur consommation en houille, descendre aussi bas que les machines du Cornouailles. Disons tout de suite que le charbon n’existe pas dans le Cornouailles, qu’il en est même relativement assez éloigné, car il faut le faire venir du pays de Galles, et que c’est grâce à un système particulier de transports (on envoie le minerai au pays de Galles, qui en retour expédie du charbon), qu’on peut l’avoir à assez bas prix sur les mines. Il n’importe, il faut l’économiser, et c’est dans ce but que s’est ouvert entre tous les constructeurs secondés par toutes les mines ce grand concours dont j’ai parlé, pour savoir quelle est la machine la plus économique, celle qui consomme le moins.

C’est dans les mines du Cornouailles et du Devonshire, et c’est ici le cas de le rappeler, qu’a été inventée la machine à vapeur, appelée depuis à un si brillant avenir. Les mines du Cornouailles et du Devon, exploitées à la surface et à une faible profondeur depuis des siècles, devenaient inattaquables dans les niveaux inférieurs à cause de l’affluence des eaux qui inondaient les travaux souterrains. Cette affluence était telle, que dans la plupart des cas les pompes, même les plus puissantes parmi celles alors connues, étaient incapables de maîtriser les eaux. Par suite de ces difficultés, une grande partie des mines métalliques avait dû être abandonnée.

En 1698, un capitaine de mines du comté de Devon, Savery, d’abord simple mineur, eut l’idée d’appliquer la force élastique de la vapeur à l’ascension de l’eau. À cette époque les esprits étaient vivement préoccupés des applications mécaniques qu’on pourrait faire de la vapeur d’eau, et les essais du Français Papin, qui avait