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que moi d’histoire internationale, ne firent qu’un somme entre soir et matin.


II

DE PLYMOUTH À TAVISTOCK.


Route pittoresque. — Le dimanche à Tavistock. — Ruines druidiques. — Il pleut, mais on ne joue pas. — La vie d’une famille anglaise. — Visite à Wheal-Friendship.

Le lendemain de ce songe historique, nous partîmes de Plymouth pour Tavistock. Le comté de Cornouailles n’a pas seul la spécialité des filons métalliques. Le Devonshire, son frère et son voisin, est riche aussi en mines de cuivre, et nous ne pouvions traverser ce pays sans aller au moins donner un coup d’œil à Tavistock, entouré de mines célèbres. Nous prîmes place sur le railway qui relie Plymouth à Tavistock, et remonte le cours de la Plym. En une heure nous franchîmes les quatorze milles qui séparent les deux villes. La route est charmante, ouverte au milieu des prairies et des bois. On côtoie quelque temps la Plym, qu’on traverse deux fois sur de magnifiques ponts. Les stations sont nombreuses. Çà et là, aux flancs des collines sont des carrières d’ardoise. En d’autres points, les schistes deviennent verdâtres, lustrés ; on voit qu’ils ont été cuits par le feu souterrain aux époques géologiques ; de plus, ils ont été fortement soulevés dans une de ces agitations convulsives qui présidèrent à la naissance et à la formation du globe. En quelques endroits on surprend des failles, des glissements, et les pans de la roche perdent leur stratification régulière ; d’énormes filons quartzeux, des dykes traversent ces masses schisteuses. Si le géologue ne connaissait le pays, il devinerait à ces signes presque décisifs la proximité d’un district métallifère. Tout le long du chemin le paysage ne cesse d’être pittoresque, et les moines du moyen âge, ces amateurs des riants horizons, avaient su l’apprécier. Des ruines d’abbayes, de monastères existent çà et là dans la campagne, et le petit village au nom caractéristique de Buckland Monachorum témoigne encore de ce religieux passé.

Les ateliers de préparation mécanique, à Wheal Friendship. — Dessin de Durand-Brager.

Arrivés à Tavistock, nous allâmes frapper à la porte de Bedford Hôtel. L’illustre auberge est bâtie dans un style demi-gothique demi-renaissance si cher aux Anglais et qu’ils appellent le style de Tudor ou d’Élisabeth. Il fait le fond de l’architecture nationale et on l’applique à toutes choses : églises, villes, grandes fermes, hôtels sont bâtis dans ce goût, surtout depuis une trentaine d’années. C’est une seconde renaissance qui est loin d’avoir la beauté et la grandeur de la première.

Bien que ce fût un dimanche, la maîtresse du logis, une vieille Anglaise du meilleur ton britannique, consentit à nous héberger. Nous allâmes donner un coup d’œil à la ville, coquettement assise sur la rivière Tavy, d’où elle a pris son nom[1]. De gracieux jardins entourent quelques villas disséminées dans les environs. À côté de notre hôtel se trouvent les pittoresques ruines d’une abbaye jadis fameuse, bâtie au dixième siècle, et dont les biens furent données par Henri VIII, en 1539, à lord John Russell. Ce fut là l’origine de l’immense fortune de la maison ducale de Bedford.

Les murs, les porches, quelques arceaux de la vieille abbaye ont résisté au temps. Le lierre, cet éternel ami des ruines, les embrasse et les serre de ses nœuds, et ces antiques débris, soudés à des constructions toutes modernes, y font un très-heureux effet. La vue de la ville, prise des hauteurs qui la dominent, forme aussi

  1. Suivant les étymologistes de l’endroit (jusqu’où les étymologistes ne vont-ils pas se nicher ?) le nom de Tavistock viendrait des trois mots saxons Ta, vy, stock, ce dernier correspondant à l’anglais moderne settlement. Tavistock voudrait dire alors : village sur la rivière Ta. Je laisse aux savants le soin de décider le fait, avouant mon entière incompétence en fait de langue saxonne.