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peau de mouton ou de leur poncho, et de le frapper en même temps à la gorge du couteau acéré que leur main droite a lestement arraché de sa gaîne.

La classe des oiseaux est innombrable, et les plus magnifiques espèces, au plumage éclatant, aux couleurs variées et chatoyantes, se rencontrent à chaque pas dans les halliers, au milieu des plaines découvertes, sur les rives des fleuves et des savanes noyées, ou près des habitations.

Après le roi des vautours (iriburubicha), dont la tête est surmontée d’un diadème formé de caroncules d’un rouge éclatant, on ne se lasse pas d’admirer les toucans au bec difforme, dont la gorge éclatante qui servait de parure au chef des Tupinambas dans les circonstances solennelles, ne parut pas au premier empereur du Brésil indigne d’orner son manteau de pourpre, sur lequel elle remplaçait l’hermine, marque distinctive des souverains de l’Europe ; les innombrables volées de perruches ; les perroquets aux cris aigus et perçants, au vol élevé et rapide ; les pies aux ailes bleues ; des aras ; l’ara rouge aux ailes d’azur ; l’ara bleu à tête verte, aux ailes de la plus belle couleur d’or ; l’autruche d’Amérique qui erre dans les plaines découvertes en troupes nombreuses et difficiles à surprendre ; des hérons de toutes les tailles ; les uns à la robe blanche sans tache, les autres marbrés de jaune et de bleu. Au milieu de cette population disparate, vivent en troupes innombrables plusieurs espèces de canards : les Indiens les appellent ipe (tache de l’eau).

Enfin le Paraguay est aussi la patrie de ces oiseaux dont la taille n’égale pas celle de certains insectes, et pour lesquels les vieux voyageurs épuisent toutes les formules de l’admiration, en les comparant à des fleurs animées, à des bouquets de pierreries resplendissant aux feux du soleil. Les oiseaux-mouches et les colibris, faciles à confondre malgré les monographies savantes de Lesson, bourdonnent incessamment autour des grands arbres chargés de fleurs. Les Guaranis les comparent poétiquement à des cheveux du soleil ; les créoles les nomment picaflores, et les Brésiliens beija-flores (baise-fleurs).

C’est par milliers que l’on peut compter les hideux sauriens qui portent le nom de yacarés (caïmans), plus à redouter qu’on ne le croit généralement. Au Paraguay, dans les Missions et à Corrientes, il n’est pas pour ainsi dire de lac, de lagunes, de ruisseau et de rivière grande ou petite dont les eaux ne nourrissent un nombre considérable de ces reptiles, dont les vieux voyageurs vantent l’excellence de la chair blanche et musquée. Leur queue, dit Ulderico Schmidel, l’un d’eux, est un mets très-délicat (delicadisimo manjar). Je ne saurais partager l’enthousiasme de l’historien allemand.

Les hautes herbes des prairies servent de retraite aux serpents (ordre des ophidiens) que les Guaranis appellent mboy (d’où le nom de boa) qu’ils soient ou non venimeux. Personne n’ignore les effets terribles de la morsure des crotales ou serpents à sonnettes. Les malades succombent dans les vingt-quatre heures après la morsure de ces reptiles au bruissement léger et sinistre ; plus rapidement après celle du jararaca-mirim (petit jararaca) ; dans les convulsions les plus horribles et avec les symptômes de l’hydrophobie, lorsqu’ils ont été mordus par le jararaca.

Le Paraguay, comme le Brésil, est la terre promise de l’entomologiste ; mais à côté des papillons gigantesques aux ailes chatoyantes, des magnifiques coléoptères aux reflets métalliques, aux vives étincelles qui éclairent les nuits sereines des tropiques, le voyageur trouve des ennemis nombreux, acharnés, implacables, de son repos et de sa santé. On a dit avec raison que, à la veille de partir pour les solitudes américaines, il fallait se préoccuper moins des jaguars et des reptiles, que du pulex penetrans, des kankrelats, et surtout des moustiques.

La blatte américaine ou kankrelat[1], est un des orthoptères les plus communs et les plus malfaisants. Dans les maisons rien n’échappe à sa voracité ; tout y passe, les étoffes, le cuir, les livres et les papiers, la viande et les fruits.


Productions naturelles. — Le maté.

On peut diviser en deux classes les produits de l’agriculture paraguayenne. Les uns entrent dans le commerce et sont exportés en quantités chaque jour plus considérables ; les autres, destinés à la consommation intérieure, ne sortent pas du pays.

Tels sont, parmi les premiers, le maté, le tabac, les bois de construction, les cuirs ; et pour des sommes presque insignifiantes, le manioc et le sucre ; — parmi les seconds, les céréales, le maïs, le riz, le coton, les haricots et les patates. Enfin, certains fruits, comme les oranges et les pastèques, tiennent une large place dans l’alimentation.

Quoique le maté soit, aujourd’hui surtout, une production spontanée du sol plutôt qu’un fruit du travail de l’homme, on comprendrait difficilement une énumération des richesses agricoles du Paraguay dans laquelle la première place n’appartiendrait pas au précieux végétal qui fournit le thé de l’Amérique du Sud[2]. Mais si cet arbre n’existe plus qu’à l’état sylvestre, il est répandu dans les environs de Rio de Janeiro, au pied des Andes boliviennes, et le pays que nous décrivons trouve encore dans l’exportation de ses feuilles torréfiées et convenablement préparées, l’article le plus important de son commerce.

Les opérations relatives à la récolte du maté, auquel les Espagnols donnent le nom générique de yerba (herbe), identiques sur tous les points, sont très-simples. Les voici en quelques mots. Vers le mois de novembre, des détachements de travailleurs bien armés et pourvus de provisions vont se fixer au milieu des forêts où abonde l’arbre précieux qui présente l’aspect du laurier franc, avec les dimensions et la hauteur d’un

  1. Blatta americana. Kankrelat ou kakerlat, vient de kakkerlak, nom hollandais de cet insecte, auquel les petits esclaves font au Brésil une chasse active.
  2. Ilen Paragueriensis, ilicinées.