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bonne heure aussi elles perdent leurs grâces naturelles, leur corps s’alourdit, la démarche devient pesante, leurs traits se déforment, car elles ont hérité de cette disposition à l’obésité qui paraît commune aux races des régions chaudes dans les deux continents, et cette disposition est encore favorisée, au Paraguay comme au Brésil, par le régime alimentaire et le défaut d’exercice.

Affables, enjouées, passionnées pour la musique et pour la danse, elles ont, comme sur les bords de la Plata, plus de tact et de finesse que les hommes.

L’étranger qui débarque à l’Assomption est accueilli dans toutes les familles avec empressement. Que ces prévenances un peu banales ne soient pas tout à fait désintéressées, qu’il s’y mêle de la part des jeunes filles quelque espoir de rencontrer un mari qui mette fin à leur existence monotone en obtenant du Président la permission (toujours refusée) de les ramener en Europe ; qu’au fond de ces témoignages de bienveillance prodigués sans trop de discernement, il y ait, là-bas comme ici, un peu de coquetterie et d’amour de soi-même, c’est ce que notre devoir d’historien impartial nous obligerait à dire, si le souvenir encore présent de l’hospitalité que nous avons reçue partout et toujours, ne devait pas nous faire regretter la franchise d’un semblable aveu.

Jeune fille de l’Assomption au Paraguay. — Dessin de Sauvageot.


Position et limite du Paraguay. — Cascade. — Hydrographie.

Le territoire de la république paraguayenne représente un immense delta borné à l’ouest par le fleuve qui lui a donné son nom, à l’est et au sud par le Rio-Paranà qui reçoit les eaux du précédent sous les 27° 24’de latitude. Il est séparé du côté du nord des possessions brésiliennes par les rios Corrientes ou Apa et Yaguarey. Ainsi, il s’étend en latitude des 22° aux 27° et quelques minutes, et offre une superficie que l’on peut évaluer à plus de dix mille lieues carrées.

Mais ces limites sont incertaines ; le gouvernement s’y renferme ou en sort toutes les fois que l’intérêt de sa sécurité ou les raisons de sa politique le lui commandent ; car le docteur Francia et ses successeurs ont élevé de tout temps des prétentions à la possession de vastes territoires dans les Missions de l’Entre-Rios et dans le Grand-Chaco. De loin en loin, ils font acte de souveraineté à l’aide d’expéditions militaires ou de tentatives de colonisation.

Des deux fleuves qui circonscrivent la partie principale et essentielle de la république, l’un, le Paraguay, qui paraît avoir reçu les premiers le nom mensonger de Rio de la Plata (rivière d’Argent), prend sa source dans la province brésilienne de Mato-Grosso, par 14° 35’de latitude ; dans son cours lent et majestueux, il se dirige du nord au sud sans s’écarter sensiblement du 60° de longitude occidentale.

L’autre cours d’eau, le Paranà, ce fleuve géant que les Indiens Guaranis, dans leur langage monosyllabique, comparent à la mer[1], formé dans les environs de Villa Boa de Goyoz par plusieurs branches qui bientôt se confondent en un tronc principal, coule au sud-ouest, puis au sud jusqu’au vingt-septième parallèle. Arrivé là, le fleuve s’infléchit brusquement à l’ouest jusqu’aux 60° 50’de longitude, où il s’enfle des eaux du Paraguay. Puis il se dirige de nouveau vers le sud, et conserve cette direction jusqu’au moment où par sa jonction avec l’Uruguay il forme le Rio de la Plata, ou Paranà-Guazà des Aborigènes.

Ces deux grands fleuves éprouvent des crues à peu près fixes et régulières ; mais si le Paranà surpasse le Rio-Paraguay par le volume beaucoup plus considérable de ses eaux, il est loin de l’égaler par la régularité de son cours, la profondeur et la largeur uniformes et constantes de son lit.

Sous les 24° 4′ 58″ de latitude, la navigation de cette grande artère est, en effet, interrompue par une cataracte qui efface les plus célèbres en ce genre, sans excepter peut être le saut fameux du Niagara. Azara, qui, s’il ne parle pas en témoin oculaire, paraît du moins s’être inspiré des relations les plus exactes, décrit ainsi ce spectacle grandiose :

« C’est une cascade effroyable et digne d’être décrite par les poëtes. Il s’agit d’une rivière qui, dans cet endroit même, a plus d’eau qu’une multitude des plus grands fleuves de l’Europe réunis, et qui, au moment où elle se précipite, a dans son état moyen beaucoup de fond et deux mille cent toises de largeur (on l’a mesurée), ce qui fait presque une lieue marine. Cette énorme largeur se réduit subitement à un canal unique qui n’a que trente toises, dans lequel entre toute la masse d’eau en se précipitant avec une fureur épouvantable. On dirait que cette rivière, fière du volume et de la vitesse de ses eaux, les plus considérables du monde, veut ébranler la terre jusque dans son centre, et opérer la mutation

  1. Panorama de Para mer, et ana adverbe de comparaison. On trouve dans les historiens cette étymologie traduite par les phrases suivantes : Parent de la mer, puissant comme la mer.