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varas, étendues sur le sol, servent de lits ; des armes, des ustensiles de pêche et de ménage sont accrochés aux perches qui soutiennent la frêle toiture de l’habitation, ou gisent pèle-mêle avec des vases de terre dans quelque coin.

La poterie que fabriquent ces Indiens est mal cuite, se brise facilement, et ne doit résister que faiblement à l’action du feu. L’argile en est noirâtre et assez grossière ; mais les formes qu’ils savent lui donner et les dessins dont ils la revêtent, dénotent de l’adresse et du goût.

Ils se servent encore habituellement de calebasses (porongos), très-communes dans le pays, dans lesquelles ils rapportent de la ville l’eau-de-vie de canne dont ils font abus toutes les fois qu’ils en ont les moyens ; car ils ne connaissent d’autre fête, d’autre distraction, que l’ivresse ; et ils dépensent de cette sorte tous les bénéfices de leur commerce avec les habitants de l’Assomption, auxquels ils fournissent le bois, le poisson, et le fourrage de leurs chevaux (pasto). Autrefois l’Indien ivre était accompagné, dans les rues, par sa femme ou par un ami, qui souvent parvenait à le ramener dans sa demeure, avant la perte entière de l’usage de ses jambes. Mais il est maintenant défendu, sous des peines sévères, de laisser les Indiens dans les cabarets (pulperias). La plupart des jeunes gens et des femmes s’abstiennent de boissons alcooliques ; les hommes mariés ont seuls le privilége d’en user largement, et ce goût, chez eux comme partout, s’accroît et se développe avec l’âge.

Guerrier payaguas. — Dessin de H. Rousseau.

L’industrie très-bornée des Payaguàs constitue cependant leur unique ressource ; car ils ne connaissent aucune culture, et ne récoltent ni maïs, ni patates, ni tabac. Ils sont pêcheurs, passent leur vie sur l’eau, et deviennent de bonne heure de très-habiles mariniers. Tantôt on les voit à l’arrière d’une pirogue s’abandonner au courant en suivant leur ligne ; tantôt, debout sur une file, ils rament en cadence, et font glisser l’embarcation avec la rapidité d’une flèche. Longues de quatre à cinq mètres, et larges de deux pieds et demi à trois pieds, leurs pirogues sont creusées dans le tronc d’un timbo, et se terminent aux deux extrémités en pointe allongée. Leur pagaie, acérée comme une lance, devient entre leurs mains une arme redoutable, à laquelle il faut ajouter l’arc, les flèches et la macana. À la guerre, ils sont cruels, et ne font de quartier qu’aux femmes et aux enfants. Leur manière de combattre n’offre rien de particulier. Ils attaquent les Indiens du Chaco, en fondant sur eux à l’improviste, et s’efforcent de les surprendre ; mais ils se gardent bien de s’éloigner des rivières car ils seraient facilement vaincus en rase campagne par ces tribus si redoutables à cheval.

Déjà on l’aura pressenti, cette nation vit dans un état de liberté absolue et de complète indépendance, vis-à vis du gouvernement de la république paraguayenne, qui ne lui impose ni taxe ni corvée. Loin de là, il paye aux Payaguàs les services qu’il réclame d’eux, soit lorsqu’il les envoie en courriers sur le fleuve, soit lorsqu’il s’en sert comme de guides dans les expéditions dirigées contre les hordes sauvages qui errent sur la rive droite. Le docteur Francia avait su tirer parti de leur concours, pour fermer le plus hermétiquement possible son malheureux pays, en les chargeant de la surveillance de la rivière, seule voie par laquelle il fût possible de s’en échapper ; et les Payaguàs ne firent jamais défaut, dit-on, à l’exécution des consignes rigoureuses qu’il leur donna.

Libres vis-à-vis du gouvernement, ils le sont aussi entre eux. Quoique réunis en communauté, ils ne reconnaissent ni chef, ni hiérarchie. Jamais ils n’ont voulu se soumettre au christianisme, et tous les efforts